About us / Contact

The Classical Music Network

Madrid

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Belle fin de saison à Madrid

Madrid
Teatro Real
07/04/2016 -  et 6, 7, 11, 13, 14*, 17, 19, 20, 24 juillet 2016
Vincenzo Bellini: I puritani (édition critique de Fabrizio Della Seta)
Diana Damrau (Elvira), Javier Camarena (Arturo), Ludovic Tézier (Riccardo), Nicolas Testé (Sir Giorgio), Annalisa Stroppa (Erichetta di Francia), Miklós Sebestyén (Valton), Antonio Lozano (Bruno Robertson)
Coro Titular del Teatro Real (Coro Intermezzo), Andrés Máspero (chef de chœur), Orquesta Titular del Teatro Real (Orquesta Sinfónica de Madrid), Evelino Pidò (direction musicale)
Emilio Sagi (mise en scène), Daniel Bianco (décors), Peppispoo (costumes), Eduardo Bravo (lumières)


J. Camarena, D. Damrau (© Javier del Real/Teatro Real)


Les Puritains au Teatro Real, le jeudi 14 juillet, n’a pas été une représentation comme les autres. On pouvait certes en faire abstraction à l’intérieur du théâtre: on se réjouissait d’une très belle mise en scène et de deux chanteurs exceptionnels – et c’était tout, mais ce n’était pas mal du tout. Pas facile, parce que le théâtre était dans un heureux «état de siège»: à l’extérieur, il y avait toute une fête. Heureusement, la chaleur des jours précédents s’était apaisée et les gens qui ont rempli la très belle Plaza de Oriente (entre le Palais Royal et le théâtre) ont pu voir sur grand écran l’intégralité du spectacle qui se déroulait à l’intérieur. Tout cela entre huit heures – un soir clair, presque au point d’origine même de la ville de Madrid au Moyen Age (la Tour Mahrit) – et la nuit, en passant par le lent crépuscule d’été, le soleil se cachant derrière le palais: la Plaza de Oriente est à l’ouest de la ville – ce n’est pas ici le lieu d’expliquer cet apparent paradoxe. Et la représentation a été retransmise partout dans le pays et dans certains pays d’Amérique.


Encore une fois, Emilio Sagi montre qu’il est la «joie de l’opéra». Les Puritains n’est pas un opéra pour rire, assurément, mais un opéra qui offre le bonheur de l’exposition d’un conflit typiquement romantique, avec ses petites variations, avec l’éclat du belcanto tardif, le dernier opéra de Bellini, qui avait, entre autres, le don de la mélodie (Stravinski l’a remarqué dans un des ses livres de conversations avec Robert Craft). Sagi, avec les costumes de Peppispoo, évite une époque concrète, malgré un clin d’œil pour les vêtements de la reine en fuite, tout un appareil pour un épisode d’un seul acte. Sagi se met au service de cet opéra, et utilise en même temps tout un répertoire de sagesse théâtrale pour la résolution de chaque situation dramatique, et une direction d’acteurs dont la complicité avec Diana Damrau, excellente actrice, est l’atout suprême. Sagi est un des grands du théâtre lyrique, bien connu en France.


Côté chant, Diana Damrau et Javier Camarena ont été insurpassables. On sait bien que les scènes de folie étaient prisées du public à l’époque, et même aujourd’hui, mais ces scènes sont prisées, surtout, des sopranos – il s’agit toujours de sopranos – qui ont les dons et la capacité de travail pour en faire des moments brillants pour leur carrière: Lucia, Lady Macbeth, Ophélie (Hamlet de Thomas) ou Marie (Mazeppa de Tchaïkovski) offrent ainsi des opportunités à de vraies artistes. Les scènes de folie des Puritains – une folie qui «fait la navette» (elle est folle, tout à coup elle est guérie, pour retomber ensuite dans l’insanité...) – sont au nombre de trois, une pour chaque acte, avec un point culminant, long, beau, plein de chant, d’ensembles et d’agilité, au deuxième acte. Diana Damrau a chanté et joué une Elvira prodigieuse, dans ses arias, dans ses ensembles, dans ses folies (et les folies de Lucia, on a pu les admirer l’année dernière). On pourrait parcourir ses interventions, ses airs («Son vergin vezzosa», «Qui la voce sua soave», le duo «Vieni fra queste braccia») et insister sur l’admiration et la fascination suscitées par cette voix privilégiée, cette actrice dévouée, créatrice, une grande «bête de scène» au meilleur sens du terme.


Mais il y avait aussi Camarena. On attendait à bras ouverts ce ténor mexicain après ses exploits dans les suraigus de La Fille du régiment en 2014. Et il n’a pas déçu, bien au contraire. Je ne suis certes pas capable de dire s’il a réussi son passage le plus exigeant, peut-être pas le plus brillant du point de vue théâtral, «Credeasi, misera», à l’acte III, qui requiert du ténor un contre-fa, du jamais-vu avant... et après non plus – c’était un «cadeau», paraît-il, pour Giovanni Battista Rubini, le premier Arturo, à Paris en 1835, très populaire du temps de Bellini. Enfin, le grand triomphe de cette soirée des Puritains, qui allait crescendo, a culminé dans le duo du troisième acte, en apothéose.


Ludovic Tézier se réservait, semble-t-il, au moins dans le premier acte. Il n’a pas été à sa propre hauteur dans le même rôle, même s’il s’est rattrapé pendant la seconde partie. Le «terrible quatuor» des Puritains se complète, c’est bien connu, par Sir Giorgio, l’oncle bienfaisant, où Nicolas Testé a été brillant et exact, surtout au premier acte. Annalisa Stroppa a mis en valeur sa petite apparition en reine, victime propice, rôle dramatique et moment d’éclat. Miklós Sebestyén a un duo avec Damrau, où elle a sauvé la situation: heureusement (pour lui aussi), son rôle ne comporte ni beaucoup de chant ni beaucoup de présence.


Evelino Pidò, comme à son habitude, s’est acquitté d’une façon honnête, parfois agile, voire brillante, de son rôle d’accompagnateur d’un opéra belcantiste, sa grande spécialité. Il a été aidé par un orchestre dans un très bon soir et un chœur formidable, qui ont visiblement collaboré avec aisance. Il faut dire que le chœur a fort à faire dans cet opéra, même si son rôle n’est pas très important du point de vue de la situation et de l’action dramatiques.


La fête, dans le théâtre et dehors, s’est terminée à onze heures passées. La joie, vraiment, une façon aussi d’attirer de nouveaux publics, ce qui n’est pas du tout garanti pour l’avenir. Mais on ne pouvait pas savoir qu’au même moment éclatait le malheur de l’attentat de Nice. Madrid, ville ayant également souffert un attentat gigantesque en mars 2004, comprend très bien le malheur des gens, des familles, la volonté des «fanatiques d’un seul Livre» d’en finir avec les joies et les libertés que nous avons durement conquises au fil de nos histoires respectives. Après la joie du chant et du théâtre, l’arrière-goût amer et acide des assassins arborant une religion. Des puritains dévoyés d’un nouveau genre?



Santiago Martín Bermúdez

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com