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Une soirée consistante

Baden-Baden
Festspielhaus
06/11/2016 -  
Ludwig van Beethoven : Concerto pour piano n° 3, opus 37
Max Reger : Variations et Fugue sur un thème de Mozart, opus 132
Richard Strauss : Till Eulenspiegel, opus 28

Yefim Bronfman (piano)
Staatskapelle de Dresde, Christian Thielemann (direction)


(© Michael Gregonowits)


Démarche lourdement oscillante pour Christian Thielemann, haute carrure qui s’approche à pas brusques du podium en balançant les épaules de droite et de gauche. Brève courbette face au public et puis le chef se retourne, se raidit subitement face à l’orchestre et donne le départ d’un bras pesant. L’exposition du Troisième Concerto pour piano de Beethoven paraît bien à l’image de cette entrée en scène physiquement fruste : une musique qui respire peu, enchaîne les évènements en les bousculant. La splendeur naturelle de la Staatskapelle de Dresde peine à s’épanouir, le son reste sec, en particulier du côté de cordes curieusement atones, pendant que la petite harmonie semble s’essouffler, à courir après son aisance habituelle sans parvenir à la rattraper.


Devant le piano, la silhouette, chaque année un peu plus massive, de Yefim Bronfman attend patiemment, avant de basculer brutalement vers l’avant pour une entrée très sonore, à pleins doigts enfoncés dans le clavier, nimbée d’un brouillard de pédale d’emblée généreux. Apparemment le soliste ne va pas faire non plus dans la dentelle mais au moins ce Beethoven-là, aussi abrupt soit-il, nous ramène à des repères plus agréablement familiers. Ce qui force d’ailleurs Thielemann, toujours aussi ostensiblement attentif quand il accompagne, à ralentir l’allure et à détailler enfin les phrases orchestrales avec davantage de soin. La lecture de cette grande partition du répertoire concertant s’effectue dès lors à bon régime, mais avec toujours une tendance à presser et à enchaîner au plus serré, précipitation qui semble émaner tantôt du chef et tantôt du soliste, les deux passant tout le premier mouvement à tendre et détendre leur fil conducteur sans jamais trouver de point d’accord. Un peu plus de poésie dans le mouvement central, avec un soliste qui pose ses phrases avec une emphase de bon aloi, mais toujours un pied droit qui abuse de demi-pédales peu nettes, ce qui alourdit l’atmosphère, avant la reprise de la course poursuite tout au long d’un final brillant mais sans répit. Cadences somptueusement énormes, proportionnées comme pour un concerto de Rachmaninov...


En bis une Arabesque de Schumann de belle facture, mais là aussi jouée sans aération ni attendrissements. Du très grand piano néanmoins, dont le surdimensionnement même sonne comme une marque de fabrique, de la part d’un artiste décidément peu commun.


Après n’avoir pu glaner jusqu’ici, de la part de l’un des plus beaux orchestres européens, que quelques soli de la petite harmonie (une flûte aérienne, un hautbois artistement coloré, des cors mordorés), sur un fond de cordes moyennement agréable, on attend impatiemment de la seconde partie qu’elle nous apporte quelques compensations. Et heureusement elles arrivent, au cours d’une belle exécution des Variations et Fugue sur un thème de Mozart de Max Reger. La réputation mitigée du compositeur allemand, romantique attardé épris de musiques rigoureusement construites à l’instar d’un Hans Pfitzner, au risque parfois d’un académisme et d’un ennui pesants, ne justifie cependant pas d’écarter des programmes de concerts quelques belles œuvres, dont certainement ces Variations où Reger utilise le thème liminaire de la Sonate pour piano K. 331. La simplicité même de l’exposé de ces quelques notes, que Mozart emploie lui aussi à fins de variations, permet à Reger des constructions parfois complexes mais qui ne s’éloignent jamais beaucoup de l’original, continuellement perceptible, parfois un peu distendu, parfois décalé en mineur, toujours somptueusement habillé par une orchestration ductile et soignée. Grande fugue conclusive qui fait attendre assez longuement le retour du thème mozartien en valeurs longues et cuivrées, apothéose prévisible mais de bon aloi. Sollicités tour à tour les pupitres de la Staatskapelle de Dresde travaillent en fins coloristes, Thielemann coordonnant l’ensemble à la recherche d’équilibres plus transparents que massifs, ce qui est heureux. Visuellement le manque d’élégance des attitudes du chef, oscillations en accordéon qui font travailler exagérément bassin et jambes, est souvent pénible voire perturbant, mais les résultats sonores sont bien là.


En conclusion, et avant un bref bis qui reprendra, juste pour le plaisir, la septième variation de l’œuvre de Reger, Till Eulenspiegel de Richard Strauss est bien le feu d’artifice attendu de la part d’une formation orchestrale dont les poèmes symphoniques straussiens restent les meilleurs chevaux de bataille. Le merveilleux corniste Jochen Ubbelohde ne faillit jamais, y compris dans son redoutable solo initial : vraiment un personnage à part entière campé en quelques notes. Et ensuite l’histoire se déroule comme une anecdote cinématographique, pimentée par le chef de multiples coquetteries narratives, parfois un peu lourdement soulignées mais efficaces. Fabuleuse Staatskapelle de Dresde, mais qui malheureusement ne retrouve plus, faute de directeurs musicaux plus inspirés, l’ivresse privilégiée que suscitaient naguère par exemple les concerts de l’ère Sinopoli ! A défaut, cette soirée nous a valu, quand même, de très beaux moments.



Laurent Barthel

 

 

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