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Pour Babi Yar

Berlin
Philharmonie
06/23/2016 -  et 23* juin 215
Béla Bartók : Concerto pour violon n° 1, sz. 36
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 13 en si bémol mineur «Babi Yar», opus 113

Lisa Batiashvili (violon), Mikhaïl Petrenko (basse)
Rundfunkchor Berlin, Gijs Leenaars (chef de chœur), Berliner Philharmoniker, Yannick Nézet-Séguin (direction)


M. Petrenko (© Alexandra Bodrova)


La Philharmonie de Berlin affichait complet ces deux soirs de juin pour la venue de Yannick Nézet-Séguin. A Berlin comme ailleurs le chef québécois, qui vient diriger l’Orchestre philharmonique de Berlin depuis 2010, est très populaire. Tout auréolé de sa fraîche nomination à la tête du Metropolitan Opera de New York, il a fait part de son souhait de continuer à diriger quelques orchestres européens, au premier rang duquel le Philharmonique de Berlin. A l’issue d’une telle prestation on ne peut que se réjouir de cette perspective.


Ce concert débutait par le rare Premier Concerto pour violon de Bartók, composé au début du XXe siècle pour la jeune violoniste Stefi Geyer, dont il était amoureux mais qui cessa toute relation avec le compositeur... tout en s’appropriant le manuscrit, qui ne fut publié qu’au milieu des années 1950. Cette courte œuvre d’un Bartók encore traditionnel réunit un Andante sostenuto censé illustrer Stefi Geyer (et que Bartók réutilisera dans le premier de ses Deux Portraits opus 5) et un Allegro giocoso figurant probablement le compositeur amoureux. Yannick Nézet-Séguin dirige avec précision cette musique de style rhapsodique dont il faut bien reconnaître qu’elle relève plus de l’exercice que du chef-d’œuvre. Mais on y perçoit d’emblée l’extraordinaire qualité de l’orchestre, notamment la musicalité hors pair du hautboïste Albrecht Meyer, qui capture l’attention de l’auditeur et dont le souffle semble inépuisable. Lisa Batiashvili est parfaite d’intonation, de présence et défend avec panache, en plein accord avec la vision de Yannick Nézet-Séguin, une musique pas toujours passionnante.


Incontestablement ce fut donc la Symphonie «Babi Yar» de Chostakovitch, donnée précédemment par cet orchestre seulement à 2 reprises (1983 avec Kurt Masur, 1995 avec Sir Georg Solti), qui constitua le sommet de ce concert. Et quel sommet! Rappelons que c’est la première partie de cette symphonie qui donne son titre à l’œuvre. Evoquant un site d’Ukraine où les nazis perpétrèrent en 1941 un massacre de masse contre les juifs, il confère d’emblée sa gravité à toute l’œuvre, même si la deuxième partie est intitulée «Humour». Suivront «Au magasin», «Peurs» et «Une carrière», tous épisodes illustrant la vie sous le régime soviétique.


Dès les premières secondes de l’œuvre, Nézet-Séguin saisit l’auditeur par une lecture âpre, intense, parfois violente, créant une tension organique qu’il ne relâchera à aucun moment. Les hommes du Chœur de la Radio de Berlin, préparés par leur actuel directeur, le Hollandais Gijs Leenaars, prennent d’emblée la parole en nous racontant une histoire bien sombre. L’homogénéité des voix est parfaite, l’engagement total et les nuances participent de la théâtralisation voulue par le chef. Mikhaïl Petrenko, au rôle essentiel et écrasant, investit lui aussi l’histoire et le texte. Chantant par cœur, vivant chaque seconde de son intervention, il fait preuve d’une maîtrise complète de l’ensemble de sa voix, une qualité assez rare chez les basses russes. A la fin de la représentation, elle n’a pas bougé et l’engagement est toujours aussi puissant. En cela Petrenko est probablement l’héritier de Sergei Leiferkus, qui a lui aussi beaucoup chanté cette œuvre.


La direction de Yannick Nézet-Séguin est constamment prodigieuse de puissance. Profitant de l’exceptionnel orchestre qui lui fait face, il le sollicite jusque dans ses derniers retranchements, parvenant à une fusion de tous les pupitres et à un embrasement concentrique impressionnant. A plusieurs reprises dans cette salle à l’acoustique pourtant exceptionnelle, la saturation sonore n’est pas loin, témoignant de l’investissement des interprètes, mais le plaisir de l’auditeur est lui aussi à son maximum.


Fabuleuse interprétation, par conséquent, d’une œuvre fascinante ici portée par un chef et des musiciens hors du commun. Une Babi Yar qui restera longtemps dans les mémoires des chanceux présents à Berlin pour ces représentations. A n’en pas douter, Yannick Nézet-Séguin, qui emmenait après ces concerts les musiciens en tournée en Allemagne et en Italie, n’en a pas fini avec cet orchestre décidément hors du commun. Et c’est tant mieux!



Gilles Lesur

 

 

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