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Harry Patch et son orchestre Paris Grande Halle de La Villette 06/18/2016 - et 7, 8 octobre 2016 (Taichung) Harry Partch : Delusion of the Fury Paul Jeukendrup (réalisation informatique musicale), Thomas Meixner (facteur des instruments Partch), Ensemble Musikfabrik, Arnold Marinissen (direction musicale)
Heiner Goebbels (mise en scène), Klaus Grünberg (scénographie et lumières), Florence von Gerkan (costumes), Matthias Mohr (dramaturgie)
(© Klaus Rudolph)
«Je ne fabrique pas des instruments, je suis un musicien-philosophe attiré par la menuiserie», déclarait non sans humour celui qui, pourtant, confectionna tout un instrumentarium inédit avec des matériaux naturels ou de récupération. L’Américain Harry Partch (1901-1974) demeure un artiste inclassable: dans un premier temps autodidacte, il finit par brûler ce qu’il écrivit jusqu’à ses 28 ans, puis mène une vie de vagabondage avant son retour définitif en Californie, où ses œuvres les plus significatives verront le jour. La plupart d’entre elles, dont Delusion of the Fury (1966) proposé ici en première française, sont en quête d’un «théâtre véritablement fusionnant» entre les instruments (présents sur la scène), les mouvements des musiciens, la performance des acteurs, des chanteurs et des lumières.
Pour ce faire, on a investi la Grande Halle de La Villette (pleine à craquer). Une réussite collective, puisqu’il faut associer à la géniale utopie du compositeur la virtuosité dramatique de Heiner Goebbels, la magie des lumières de Klaus Grünberg et le professionnalisme des membres de Musikfabrik, sollicités bien au-delà de leur compétence de musiciens.
Delusion of the Fury se compose de deux actes articulés par un intermède (Sanctus) et précédés par une introduction instrumentale (Exordium). Le premier acte s’inspire d’un récit légendaire japonais du XIe siècle, tandis que le second, beaucoup plus léger et farceur, puise dans le folklore africain. Partch tient cependant à ce que les époques et les lieux restent indéterminés, comme si l’ensemble baignait dans l’atmosphère irréelle du conte, voire d’une parabole: «les costumes doivent évoquer un parfum de magie, d’un temps ancien, mais jamais d’une époque précise [...]. Pour compenser ce costume très simple, chaque musicien portera un couvre-chef fantaisiste.» On a ici fait le choix, dans les passages à l’éclairage tamisé, de casques d’ouvriers avec une lampe torche intégrée de manière à éclairer la partition. Au fait, à quoi ressemble celle du Californien? Dans sa notice d’introduction, Heiner Goebbels souligne «un système musical d’une grande complexité» qui «a su, d’une manière unique et inimitable, ouvrir un espace entre la musique dite classique et la musique dite populaire». Disons-le sans ambages: le résultat ne ressemble à rien de connu. Tout juste serait-on tenté d’opérer un rapprochement avec le courant minimaliste, mais les échelles non tempérées jointes à la conduite théâtrale du discours sont bien éloignées du mouvement américain alors à ses balbutiements.
On retiendra surtout cette lutherie proprement unique qui ne manqua pas d’attirer les curieux à l’issue du spectacle: beaucoup de percussions avec, en grande majorité, des claviers, telles ces lamelles de bois énormes détachées d’un xylophone géant. Equipé de son maillet, le musicien qui l’actionnait donnait l’impression d’un Lilliputien échappé des Voyages de Gulliver...
Harry Partch a bien de la chance de voir son œuvre – dont l’essentiel reste encore à découvrir – ressuscitée par une telle équipe! Probablement le clou du festival ManiFeste 2016.
Jérémie Bigorie
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