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Quand les rois de France accueillent le roi de l’avant-garde

Paris
Saint-Denis (Basilique)
06/17/2016 -  
Karlheinz Stockhausen : Samstag aus Licht: quatrième scène «Luzifers Abschied»
Ensemble Le Balcon, Maxime Pascal, Alphonse Cemin (direction)


M. Pascal


Disposé sur plusieurs rangées tout le long de la nef, le public se fait face. Côté chœur, les ténors habillés en blanc chantent faiblement les premières paroles de la Salutation des vertus de saint François d’Assise (en italien). Le premier d’entre eux tient une cage refermant un oiseau noir. Sur les côtés, les basses, beaucoup plus nombreuses, en frocs bruns, le capuchon vissé sur la tête, les unes équipées d’une crécelle, les autres d’une clochette de culte, entrent cérémonieusement, chaussées de sabots qu’elles solliciteront bruyamment en piétinant le sol (protégé par un revêtement). L’organiste maintient tantôt des notes tenues, tantôt plaque un accord disruptif qui annonce une nouvelle séquence. Au passage «si d’abord il ne meurt», un tromboniste fait irruption dans l’allée centrale en jouant des lambeaux d’une septième majeure. Un roulement de tam-tam interrompt la course à grand fracas des basses le long du mur avant que les sept trombones, disposés en hauteur au niveau de l’orgue, ne marquent une nouvelle séquence plus agitée, cadencée par divers solos vocaux. Suspendu à un fil, un sac de toile plein et fermé amorce sa descente dans le chœur. L’ultime partie invite le public à regagner la sortie et à faire cercle autour du portail d’entrée: une fois l’oiseau libéré («... aux bêtes et aux fauves eux-mêmes, afin qu’ils puissent vivre en liberté...»), chaque chanteur, dans un geste déprécatoire, brise une noix de coco extraite du sac au son des clochettes, des crécelles, et des clameurs collégiales.


Notons que la magie de la basilique, à laquelle succédait le tonnerre d’un ciel menaçant, contrepointait de manière on ne peut plus évocatrice cet étrange cérémonial. On se serait cru par moments complice d’une messe noire.


Stockhausen (1928-2007), on s’en souvient, avait horreur que l’on rapprochât sa démarche de celle de Wagner. Il n’échappera pourtant à personne qu’un soupçon de Gesamtkunstwerk régit le cycle Licht (1977-2003), à moins qu’il ne faille y voir un idéal goethéen («Licht, mehr Licht» passent pour les derniers mots prononcés par le grand homme sur son lit de mort)... Rien de moins improvisé que ce à quoi nous avons assisté: avec un soin qui confine à la méticulosité, le compositeur a noté les hauteurs (liées en l’occurrence au thème de Lucifer), les rythmes, mais aussi – dans la continuité d’Inori (1974) – la mise en espace et les gestes dans cette ultime scène de Samedi de lumière intitulée «Les Adieux de Lucifer», créée en 1982 à l’église de San Rufino à Assise.


(Trop) souvent drapé dans ses certitudes, le critique se trouve bien démuni face à semblable expérience. Au vrai, «Les Adieux de Lucifer», on les vit plus qu’on ne les commente. L’on sait gré une fois de plus à Maxime Pascal et son Balcon d’avoir pu mener à bien un projet aussi exaltant dans le cadre du festival de Saint-Denis, où l’ensemble est en résidence. Certainement le genre de soirée dont on se souvient toute sa vie.



Jérémie Bigorie

 

 

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