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Là où on ne les attendait pas … Geneva Victoria Hall 05/03/2016 - Salvatore Sciarrino: Autoritratto nella notte
Felix Mendelssohn: Concerto pour violon n° 2, opus 64
Ludwig van Beethoven: Symphonie n° 5, opus 67 Viktoria Mullova (Violon)
Geneva Camerata, David Greilsammer (direction) D. Greilsammer (© Julien Mignot)
Les entrepreneurs vous confirmeront que la fin de la troisième année est souvent un point de passage important. C’est à ce moment que les fonds initiaux doivent permettre de passer à l’étape suivante et de démontrer que le modèle prédit dans la tête (et le cœur) des entrepreneurs (ou des artistes) est effectivement viable. Ce concert qui refermait la saison genevoise du Geneva Camerata démontre à quel point le pari mené par David Greilsammer et son équipe est en train d’être gagné et qu’ils vont vraiment passer cette troisième année.
Signe du projet, le public de ce concert était différent de celui plus traditionnel de l’OSR, plus varié où jeans se mélangent avec complets et où les plus jeunes croisent les plus anciens. De leur côté, les musiciens ont un niveau technique plus affirmé que lors des débuts. Il y a plus de dynamique, des attaques plus franches et en fin de compte plus de cohérence et d’expression. Tout cela se ressent à l’écoute mais aussi en constatant qu’il y a une certaine complicité entre les musiciens des musiciens et des regards qui en disent long. Enfin, la durée de ce concert est moins longue que d’autres, ce qui doit probablement aider à la qualité globale.
Le fait de mélanger des œuvres de tant d’époques, de répertoire et de styles reste un challenge. Les Suisses vont diront que leurs fameux couteaux ont plus d’efficacité quand ils ont moins de lames... La première œuvre qui ouvrait ce concert est une pièce de Salvatore Scarrino. Elle évoque une série de bruits nocturnes joués dans la pénombre par les musiciens répartis sur scène et dans les loges. Mais toutes les pièces modernes qui utilisent cette disposition n’ont pas le mystère de The Unanswered Question de Charles Ives. Il y a beaucoup de recherches de nouvelles sonorités qui peuvent surprendre mais, comme pour Mar’eh, la récente création de Matthias Pintscher, l’absence de ligne et de développements manque cruellement. Cela devient une expérience un peu stérile dans le seul but de recherche de nouveautés.
La venue de Viktoria Mullova en tant que soliste est cohérente les choix du Camerata avec puisque après avoir exploré le répertoire et le style classique, la violoniste russe s’est tournée vers les musiques baroques sur instruments d’époque ainsi que les univers du jazz et de la musique traditionnelle. Mais sa prestation ce soir reste mitigée. Certes, la maîtrise technique dont elle fait preuve est du plus haut niveau mais dans une œuvre aussi expressive et aussi profonde, la seule recherche formelle ne peut suffire. Le merveilleux thème du début manque de charme et l’Andante d’abandon. L’Allegro molto vivace final est impressionnant de virtuosité mais celle-ci devrait servir plus d’ambition musicale. Il y a également une opposition de style trop marquée entre soliste et orchestre. Les cordes en particulier jouent sans vibrato à la grande différence de la violoniste qui joue dans le style qui conviendrait à un orchestre romantique... L’orchestre cherche certes à caractériser les œuvres en donnant un léger accelerando à la fin de l’Allegro molto appasionato initial ou en cherchant à approfondir le caractère un peu tragique de la fin de l’Andante mais cela ne suffit pas à compenser la froideur de la soliste.
Jouer la Cinquième Symphonie de Beethoven, une œuvre si connue de tous et servie dans le passé par les plus grands ensembles, est un défi musical de grande taille où l’on n’attendait pas le Geneva Camerata. Force est de reconnaitre que le pari est gagné. Il y a dans cette exécution les marques de beaucoup de travail. La mise en place est plus nette, la qualité individuelle des musiciens leur permet de restituer avec confiance les solos où ils sont exposés. Les accords sont joués avec force et non lourdeur. Il y a enfin un élément essentiel de la musique de Beethoven qui est le fait d’établir une pulsation régulière. Dans des prestations passées et en particulier dans Mozart, les choix de David Greilsammer de mélanger des styles hétérogènes dans les cadences avaient pour conséquence de « casser » la pulsation établie. Ce n’est pas le cas ici. Le chef établit et garde une allure vive et régulière. Les choix stylistiques sont bien ceux de l’école baroque mais la dimension beethovénienne et la grandeur de l’œuvre sont bien là. Avouons-le, nous n’attendions pas ces musiciens dans cette symphonie à ce niveau.
La saison prochaine du Camerata permettra d’entendre une pléiade de solistes (Anne Sofie von Otter, Measha Brueggergosman, Christian Tetzlaff...) issus du monde du classique ainsi que des jazzmen (Didier Lockwood, Tigran Hamasyan...) Le Camerata se produira également dans de nombreuses tournées en dehors de Genève, de la Chine, Paris, Londres, Berlin... Tous les genres y seront mélangés et David Greilsammer continuera son exploration beethovénienne avec la Quatrième Symphonie.
Le site du Geneva Camerata
Antoine Lévy-Leboyer
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