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Hommages Normandie Deauville (Salle Elie de Brignac) 05/01/2016 - György Kurtág : Játékok (extraits) (#)
Thomas Adès : The Four Quarters
Thierry Escaich : Lettres mêlées (*) David Petrlik (*) (violon), Bruno Philippe (*) (violoncelle), Ismaël Margain (#), Guillaume Bellom (#), Guillaume Vincent (*) (piano), Quatuor Ulysse: Amaury Coeytaux, Perceval Gilles (violon), Léa Hennino (alto), Victor Julien-Laferrière (violoncelle)
I. Margain, G. Bellom (© Stéphane Guy)
Le sixième concert du vingtième festival de musique de Pâques de Deauville était intégralement consacré à la musique contemporaine et même à trois compositeurs vivants. Le directeur artistique du festival, Yves Petit de Voize, rendit hommage, au début, à la Fondation Singer-Polignac et à son engagement, de longue date, au profit de la création contemporaine. Il rappela aussi que la musique de notre temps faisait partie de la charte du festival: chaque artiste participant se doit d’inscrire à ses programmes une œuvre contemporaine. Malheureusement, le contemporain est depuis quelque temps déjà concentré sur un concert unique et spécialisé et donc, du coup, gratuit pour éviter la salle vide. Pourtant, les œuvres jouées chaque année ne sont pas absconses ni d’un abord particulièrement difficile, la musique sérielle ou post-sérielle étant soigneusement évitée. En ce dimanche après-midi, le programme était ainsi d’une audace toute relative mais la salle était encore bien faiblement remplie. Où vaquaient les jeunes de la région? On espère, sans trop y croire, que le soleil, enfin généreux, était leur justification.
Etaient tout d’abord à l’affiche des extraits de Játékok (1973-2010) de György Kurtág (né en 1926) sous les doigts d’Ismaël Margain et Guillaume Bellom, au piano à quatre mains. Les aphorismes musicaux, aux confins du silence, s’enchaînent, en hommage à Verdi, à Bach et à d’autres; les mains se croisent; les résonances se prolongent. De vrais bijoux, d’une infinie délicatesse, sont ainsi révélés par des artistes d’une grande probité jusqu’aux clusters du Prelude and waltz en fa final, les pianistes restant figés de longs instants couchés sur le clavier. On pense naturellement à l’émouvant couple Kurtág qui, malgré son âge, jouait encore il y a peu en public ces pièces avec tant de complicité et de charme mais nos deux pianistes ne déméritent pas; ils manifestent même une autorité supérieure sans exclure pour autant poésie et humour.
The Four Quarters (2010), deuxième quatuor de Thomas Adès (né en 1971), fut une autre superbe réussite. Les compositeurs contemporains ne se résignent pas à abandonner, on le sait, la forme classique du quatuor; au contraire même, la rupture n’étant pas, loin s’en faut, contrairement à ce que d’aucuns répètent à satiété, leur mot d’ordre. Mais il faut reconnaître que les ensembles rendant justice à leur production ne sont pas légion: cela grince souvent. Ce n’est pas le cas ici. Le Quatuor Ulysse nous plonge dès le premier volet dans une atmosphère inquiète et mystérieuse, presque post-romantique, avec un remarquable souci du détail. La «Sérénade: Rosée du matin» qui suit est largement composée de pizzicati, faisant penser à des horloges marquant le temps qui passe et à la Musique pour cordes, percussion et célesta de Bartók; spectaculaire, elle emporte aisément l’adhésion. Le troisième volet, que l’on n’ose appeler «mouvement», démarre sur une certaine nonchalance, des coups d’archet débarquant ensuite à l’unisson. Le dernier («La vingt-cinquième heure»), qui fait cette fois songer à Britten, est un retour aux timbres des premières pages, La Nuit transfigurée, que l’on doit entendre le 6 mai prochain, n’étant pas bien loin. Qui pouvait ensuite ne pas reconnaître l’immédiateté et l’hédonisme de cette musique?
Avec les Lettres mêlées (2003) de Thierry Escaich (né en 1965), on retrouvait avec plaisir le pianiste Guillaume Vincent. Il parvient avec une grande sûreté de toucher à tenir un discours puissant voire véhément et créer des brouillards sonores impressionnants tandis que les cordes tissent des lianes, jouant sur l’idée de vitesse à la manière des Métaboles de Dutilleux, l’archet de David Petrlik se révélant incroyablement souple. On sait gré à l’ensemble du trio, dont chacun des membres était accompagné d’un tourneur de pages, d’avoir su exprimer la force et le lyrisme de cette partition intense, débordante d’énergie, écrite en hommage à Bach, Brahms et Bartók.
Stéphane Guy
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