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Le monde minéral en musique

Paris
Conservatoire à rayonnement régional
04/29/2016 -  
Frédéric Verrières : Une cour impériale vers 1855...
Martin Grütter : Veitstanz
Mauro Lanza & Andrea Valle : Regnum lapideum (création)

Ensemble 2E2M, Pierre Roullier (direction)


P. Roullier (© E. Kongs)


«L’un écrivait les dièses, l’autre, les bémols», disait par boutade Arthur Honegger de son travail à quatre mains avec Jacques Ibert sur L’Aiglon. C’est, on s’en doute, un autre type de collaboration qui préside à Regnum lapideum du tandem formé par Mauro Lanza (né en 1975) et Andrea Valle (né en 1974). Ce troisième volet du triptyque Systema naturæ, centré sur «la tradition médiévale des lapidaires», succède à Regnum animale et vegetabile. On y retrouve les caractéristiques du cycle: «le dialogue qui s’installe entre un ensemble instrumental et une série d’instruments artisanaux électroacoustiques et électromécaniques bon marché, reliés par un simple ordinateur» (*). Une expérience hors du commun pour l’auditeur, qui est explicitement invité à observer – se faire voyeur, serait-on tenté d’affirmer – cet instrumentarium (amplifié) inédit.


Ce qui frappe, par-delà l’originalité de la démarche, est la réussite acoustique de cet accouplement (contre nature?) entre objets du quotidien à hauteurs indéterminées, et un ensemble instrumental «traditionnel», même si ses composantes sortent, elles aussi, de l’ordinaire: guitare, flûte (également flûte alto), violoncelle, alto, saxophone, piano et percussion. Véritables démiurges des sons, nos deux compositeurs ont su ménager le parcours au moyen d’une forme séquentielle des plus lisibles, faisant alterner interludes et courtes pièces dédiées à une pierre imaginaire. L’Ensemble 2e2m et leur chef se sont prêtés au jeu avec une flexibilité et un sens du mimétisme qui forcent l’admiration dans une œuvre qui, plus que toute autre, se vit au concert.


En première partie, Une cour impériale vers 1855... de Frédéric Verrières (né en 1968), fondé sur La Valse de Ravel, nous plonge en pleine «fantasmagorie», pour employer le mot du compositeur. A l’original, qui sonne comme la mise en abyme de l’empire austro-hongrois, le Français imprime sa réécriture ludique, où trois temps déréglés, glissandos impressionnistes côtoient, en une danse folle, des effets tour à tour poétiques (appels du vent) ou volontairement disruptifs, tels les hurlements de la sirène et ce moment de flottement durant lequel chacun semble s’être perdu dans sa partie; et le compositeur d’émerger du public, partition en main, pour replacer le chef sur les rails... La pièce n’est pas sans évoquer la troisième partie de la célèbre Sinfonia (1968) de Luciano Berio, où le Scherzo de la Deuxième Symphonie de Mahler constitue un «squelette (…) qui réémerge souvent en chair et en os et vêtu de pied en cap, puis disparaît et surgit de nouveau» (Berio). De même, La Valse de Ravel se fait par endroits clairement entendre, fût-ce dans une orchestration revisitée, avant de s’étioler dans un maelstrom sonore parfois très envahissant.


Une autre danse – mais certainement pas de salon celle-ci –, la Veitstanz («Danse de saint Guy») de l’Allemand Martin Grütter (né en 1983), donne à entendre des paroles et bruits enregistrés tandis que l’ensemble instrumental, comme engourdi, n’a de cesse que d’amorcer de nouveaux rythmes, plus déhanchés les uns que les autres. Le geste, comparé à la pièce précédente, se complaît davantage dans les distorsions, avec un goût marqué pour la tonitruance. A cet égard, on est autorisé à trouver que le volume sortant des enceintes dépasse souvent le seuil de tolérance... Stylistiquement composite, la pièce charrie, avec une énergie peu commune, relents de musiques urbaines et passages minimalistes à la Steve Reich qu’interrompt un péremptoire accord classé. Pas de quoi perturber Pierre Roullier et ses musiciens qui auront montré, au terme de ce concert, un professionnalisme et un sang-froid à toute épreuve.


(*) Les citations sont extraites de l’ouvrage tout juste paru de Mauro Lanza & Andrea Valle, Systema naturae, collection «A la ligne» éditée par l’Ensemble 2e2m (170 pages, 10 euros).



Jérémie Bigorie

 

 

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