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Fatras d’idées Gent Opera Vlaanderen 04/13/2016 - et 25, 27, 30 mars, 1er, 3 (Antwerpen), 16, 19, 24* (Gent) avril 2016 Alexander von Zemlinsky: Der König Kandaules Dmitry Golovnin (König Kandaules), Elisabet Strid (Nyssia), Gidon Saks (Gyges), Vincenzo Neri (Phedros), Michael J. Scott (Sebas/Syphax), Tijl Faveyts (Philebos/Der Koch), Toby Girling (Nicomedes), Leonard Bernad (Pharnaces), William Helliwel (Simias), Thierry Vallier (Archelaos)
Symfonisch Orkest Opera Vlaanderen, Dmitri Jurowski (direction)
Andrij Zholdak (mise en scène, décors), A.J. Weissbard (décors, lumières, vidéo), Tuomas Lampinen (costumes)
(© Annemie Augustijns)
Coïncidence. En ce début de printemps, les trois maisons d’opéra belges ont programmé des œuvres en marge du grand répertoire : Béatrice et Bénédict de Berlioz à la Monnaie, Manon Lescaut d’Auber à l’Opéra royal de Wallonie, une vraie rareté, pour le coup, et Le Roi Candaule de Zemlinsky à l’Opéra des Flandres.
Le compositeur, qui a dû s’exiler aux Etats-Unis pour fuir le nazisme, a renoncé à achever son opéra, créé en 1996, seulement, à Hambourg, dans une orchestration complétée par Antony Beaumont. En effet, dans la pudibonde Amérique, il n’était pas concevable montrer de la nudité au Metropolitan Opera. Pourtant, dans cette production, Nyssia ne se dévoile jamais à Gyges dans le plus simple appareil : il aurait été trop simple d’interpréter littéralement le mythe, sujet de la pièce d’André Gide à l’origine du livret. S’interrogeant sur la question du bonheur, Andrij Zholdak complique inutilement sa mise en scène, absconse à force d’accumuler les symboles ; la présence d’enfants, par exemple, l’un d’eux enroulé, à un moment, dans une pâte à tarte géante, illustre le désir de maternité inassouvi de Nyssia. Quant à la présence de rats géants, elle n’étonne plus depuis le Lohengrin de Hans Neuenfels. Rien de surprenant non plus : cette scène de sado-machisme avec une femme potelée, étouffée avec un cordon d’appareil électro-ménager avant de se relever plus tard comme une somnambule.
Compartimenté sur trois niveaux, où se déroulent plusieurs actions simultanément, le décor ne facilite pas non plus la compréhension de ce spectacle. Le premier acte demeure encore lisible, dans une certaine mesure, mais de nombreux éléments, le plus souvent incongrus, se succèdent, encore plus bizarrement, dans les deux suivants, ce qui relâche l’attention : Nyssia entame une chorégraphie grotesque dans les bottes de pêcheur de Gygès ou colle des papiers peints de travers, un personnage se laisse fouetter les fesses nues avec une tapette à mouches, d’autres balancent des morceaux de viande dans la cuisine, et ainsi de suite. Il ne faut surtout pas confier La Femme sans ombre au metteur en scène ukrainien. Pourtant, fermer les yeux pour s’épargner ce fatras d’idées serait injuste pour les techniciens, auteurs d’un dispositif impressionnant, et pour les chanteurs, soumis à une direction d’acteur acérée.
L’exécution musicale procure heureusement de nombreux motifs de satisfaction, la direction splendide de Dmitri Jurowski constituant, pour commencer, un véritable baume. Le chef obtient d’un orchestre aux timbres rutilants une clarté dans la mise en place, une précision dans le dialogue instrumental et une finesse dans le rendu de la dynamique qui forcent l’admiration. L’ouvrage se concentre essentiellement sur le trio formé par Candaule, Nyssia et Gygès. Ténor maître de ses moyens, Dmitry Golovnin s’investit pleinement dans le rôle-titre, qui met plus en valeur son tempérament dramatique que ses mérites vocaux, pourtant considérables. Elisabeth Strid ne compte pas parmi les sopranos dramatiques les plus somptueux, le timbre ne paraissant pas toujours très séduisant, mais cette chanteuse suédoise à la présence magnétique signe une composition accomplie. Incarnant un Gygès impressionnant de puissance et d’animalité, Gidon Saks possède une solide voix, capable de passer l’orchestre sans difficulté, et conjugue idéalement qualité du chant et crédibilité théâtrale. Parmi les autres chanteurs, il faut saluer la prestation remarquable de Tijl Faveyts. Consternante d’un côté, aboutie de l’autre, cette production porte à croire que cet ouvrage splendide mérite de rejoindre le grand répertoire.
Sébastien Foucart
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