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Un Bruckner décharné

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
04/20/2016 -  et 21 (Bruxelles), 22 (London), 23 (Basingstoke) avril 2016
Johannes Brahms : Ouverture tragique, opus 81
Hans Rott : Symphonie n° 1: Scherzo
Anton Bruckner : Symphonie n° 6

Orchestra of the Age of Enlightenment, Simon Rattle (direction)


S. Rattle (© Johann Sebastian Hanel)


Les Bruckner de Simon Rattle se suivent... mais se ressemblent-ils? Un peu plus d’une semaine après une Huitième Symphonie avec le Symphonique de Londres à la Philharmonie de Paris (voir ici), le chef aborde la Sixième avec l’Orchestre de l’Age des Lumières sous les ors du TCE.


La Huitième surprit: certes, l’on savait les affinités de Rattle moins fortes avec Bruckner qu’avec Mahler; mais après un premier mouvement expédié et un Scherzo un peu bancal, l’Adagio, contre toute attente, se révéla le grand moment de la soirée, l’orchestre, dans une forme olympique, déployant des trésors de sonorités.


Sur le papier, cette Sixième Symphonie, surnommée «la petite effrontée» par son auteur, semble coller davantage au tempérament du Britannique, lequel privilégie les ruptures aux dépens de la grande arche, les caprices de l’instant plutôt que la trajectoire. D’autant qu’avec un orchestre si «typé» jouant sur instruments anciens, la conception d’ensemble ne manquera pas d’être collégiale: chacun, musiciens comme chef, doit faire un pas en direction de l’autre. A l’instar du concert à la Philharmonie, c’est le mouvement lent qui séduit le plus, porté par le grain des cordes et le cantabile des cors. Mais la phalange, ailleurs, montre vite ses limites: trop de déséquilibres entre les pupitres, un manque d’assise du son, des tutti bien enrhumés et une petite harmonie (flûtes et hautbois) souvent surprise en déshérence. Quant à l’entrée des trompettes (premier mouvement), elle vire facilement à la fanfare. Voilà dans l’ensemble un Bruckner décharné, pour ne pas dire défiguré. En janvier 2014 in loco, Riccardo Chailly et les Wiener attestaient pourtant que tradition et clarté, architecture et fluidité ne sont pas incompatibles dans cette (rare) Sixième Symphonie.


L’Ouverture tragique jouée en début de programme réserve déjà son lot de surprises tant la matière sonore semble peu brahmsienne. Le côté sourd des timbales, la franchise des attaques qui va à l’encontre du fondu des pupitres soustraient cette musique des brumes postromantiques pour la tirer vers le giron du premier romantisme: telle phrase de cor fait songer au Freischütz tandis que les poussées lyriques des cordes évoquent la Symphonie Ecossaise. Mais bien vite des soucis de balance se font sentir, que la direction pourtant alerte de Rattle ne parvient pas à résoudre.


La Symphonie en mi (1880) de Hans Rott (1858-1884) résonna dans les murs de la salle Pleyel en octobre 2011 à l’initiative de Paavo Järvi: une révélation pour le mélomane qui prenait conscience de la dimension décidément très «hospitalière» du génie mahlérien. Aussi certains passages de cette symphonie – l’unique du compositeur fauché par la tuberculose à 26 ans – annoncent-ils la Titan, postérieure de quelques années. Simon Rattle en propose le seul Scherzo: quinze minutes somme toute assez réjouissantes, où la signature sonore si peu philharmonique de l’orchestre dépeint une rustique suite de danses. Mahler, bien sûr, perce ici et là, mais les spectres de Smetana et de Dvorák (le triangle!) traversent aussi cette kermesse aux relents de Bohême. Très beaux solos de trompette, violon... et contrebasson. Certainement le meilleur moment d’un concert qui est loin d’avoir tenu toutes ses promesses.



Jérémie Bigorie

 

 

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