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La passion dans tous ses états

Paris
Philharmonie 1
04/09/2016 -  
Vito Zuraj : Insideout
Philippe Manoury : Passacaille
Arnold Schoenberg : Erwartung, opus 17 (*)
Johann Sebastian Bach : Cantate «O holder Tag, erwünschte Zeit», BWV 210 (extraits) – Matthäus-Passion, BWV 244: récitatif «Am Abend, da es kühle war» et air «Mache dich, mein Herze, rein»
Edgard Varèse : Offrandes
Bernd Alois Zimmermann : Stille und Umkehr

Solveig Kringelborn (*), Yeree Suh (sopranos), Jarrett Ott (baryton), Hidéki Nagano (piano)
Orchestre de Paris, Ensemble intercontemporain, Matthias Pintscher (direction)


S. Kringelborn


Ce nouveau «Grand Soir» réunit l’Ensemble intercontemporain et l’Orchestre de Paris autour d’une thématique: les passions. Si la cohérence est parfois sujette à caution (que vient faire ici la Passacaille pour Tokyo?), l’occasion est offerte au mélomane de sortir du sempiternel schéma ouverture-concerto-symphonie, avec une réjouissante variété d’esthétiques et d’effectifs.


Insedeout (2013) de Vito zuraj nous donne à entendre la passion sous un angle délibérément caustique à travers un «épisode pour soprano, baryton et ensemble» d’une dizaine de minutes, centré sur l’incompréhension entre l’homme et la femme: lui (Jarrett Ott, sobre et inhibé) s’exprimant posément, comme sous l’emprise d’un rêve; elle (Yeree Suh, toute en envolées de colorature), quasi hystérique. A l’évidence, le jeune compositeur slovène (né en 1979) parodie à l’envi le genre du duo d’amour au moyen d’une écriture vocale somme toute désuète. Une effusion des cœurs habilement enchâssée dans l’écrin instrumental dispensé par dix-sept musiciens, avec une dilection particulière pour les sonorités cristallines. Eu égard au manque de projection des chanteurs, c’est ce qu’on retient de cette partition un rien anecdotique.


La Passacaille pour Tokyo (1994) de Philippe Manoury (né en 1952) aurait pu s’intituler Toccata tant l’écriture percussive, motorique, préside à une relecture de la fameuse danse d’origine baroque. Le goût marqué pour la prolifération, l’émancipation notable de la harpe, l’écriture pianistique extrêmement virtuose sollicitant les notes répétées (en l’occurrence un lancinant mi bémol) ne sont pas sans évoquer sur Incises de Pierre Boulez, postérieur de quelques années. Hidéki Nagano empoigne avec une souveraine maîtrise sa partie, faisant alterner accélérations fulgurantes et passages plus contemplatifs, telle la cadence et ses accords en suspension.


Place à l’Orchestre de Paris pour Erwartung (1909) de Schoenberg, dont la modernité – il n’est que de comparer avec la première pièce au programme – ne laisse pas d’étonner. Le texte de Marie Pappenheim, passé au tamis du freudisme, donne lieu à une composition atonale défiant l’analyse (Charles Rosen est l’un des rares musicologues à s’y être attelé). Anja Silja livrait jadis une prestation d’un expressionnisme capiteux, où perçait la dimension vipérine de la protagoniste (après tout, il se peut bien qu’elle soit l’assassin de son amant revenant sur les lieux du crime). Dans la lignée de Jessye Norman, Solveig Kringelborn campe un personnage meurtri, aux blessures ouvertes, prête à sombrer dans la folie. Son timbre chaud, son émission ample lui permettent de tenir tête à un effectif particulièrement fourni. Un rien fragile rythmiquement, elle peut s’appuyer sur la gestuelle lisible de Matthias Pintscher qui accomplit un vrai travail d’orfèvre, épaulé par la discipline des têtes de pupitres de l’orchestre: épinglons le lyrisme des violoncelles ou les échappées des vents.


Les extraits de la Cantate du mariage de Bach, qui auraient sans doute gagné à être écourtés, donnent à entendre les membres de l’EIC dans un répertoire duquel ils sont peu familiers; cela s’entend: malgré les brillants solos de flûte (Emmanuelle Ophèle) et de cor anglais, les phrasés n’échappent pas à une certaine raideur. Brillante technicienne, Yeree Suh accuse un déficit de sensualité dans les (redoutables) vocalises. Jarrett Ott passe, hélas, à côté de «Mache dich, mein Herze, rein» de la Passion selon saint Matthieu. Offrandes de Varèse est instrumentalement beaucoup plus convaincant, en dépit d’un incipit de trompette un peu prudent.


Au mi bémol de la Passacaille pour Tokyo répond le de Stille und Umkehr («Silence et retour») de Bernd Alois Zimmermann (1918-1970). Dans sa dernière œuvre pour orchestre, le compositeur rhénan, qui allait se donner la mort peu après, livre une fascinante étude de timbres: autour d’un constamment tenu, un délicat rythme de blues à la caisse claire (formidable Victor Hanna) ponctue les arabesques isolées émanant des différents pupitres. Les sons immatériels dispensés par l’accordéon et les cymbales frottées donnent le sentiment d’une évaporation de la musique.


Il est regrettable que le retard accumulé – le concert se termina à pratiquement minuit – ait réprimé les applaudissements d’un public manifestement conquis, mais trop pressé de rentrer chez lui.



Jérémie Bigorie

 

 

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