About us / Contact

The Classical Music Network

Lille

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Le déni et la mémoire

Lille
Opéra
03/13/2016 -  et 15, 17, 19*, 21 mars (Lille), 19 avril (Reims) 2016
Wolfgang Mitterer: Marta (création)
Elsa Benoit (Marta), Georg Nigl (Grot), Ursula Hesse von den Steinen (Ginevra), Martin Mairinger (Arthur), Tom Randle (Captain)
Les Cris de Paris, Geoffroy Jourdain (direction), Ensemble Ictus, Clement Power (direction musicale)
Ludovic Lagarde (mise en scène), Antoine Vasseur (scénographie), Michael Salerno, Cédric Scandella (vidéo), Sébastien Michaud (lumières), Marie La Rocca (costumes)


(© Frédéric Iovino)


Tous les enfants du royaume ont été massacrés à l’exception de Marta, fille de Grot et de la reine Ginevra, exposée, comme une idole, dans une vitrine. Les adultes se rendent en pèlerinage jusqu’au château pour la vénérer. La société échouant à comprendre les phénomènes qui engendrent la violence, entrevoir un avenir meilleur demeure impossible. Treize ans après Massacre, le nouvel opéra de Wolfgang Mitterer (né en 1958), sur un livret original de Gerhild Steinbuch (née en 1983), se présente comme un conte sur le déni et la mémoire : œuvre exigeante, trop austère, sans doute, pour la rendre accessible à un large public, mais d’un intérêt musical indéniable ; le livret, en revanche, paraît abscons, dans sa syntaxe comme dans son déroulement.


Il faudrait écouter une fois de plus cette musique captivante, personnelle, évoluant, la plupart du temps, dans un registre énergique, foudroyant, paroxystique. L’électronique, qui produit de surprenants effets, notamment celui de l’eau qui goutte dans une canalisation, ne prend jamais le dessus sur l’orchestre, onze musiciens au total, amenés à jouer sans relâche à des tempi redoutables. L’écriture se révèle structurée et travaillée, d’un côté, libre et improvisée, de l’autre, la sonorité s’imposant par son foisonnement, sa densité et sa puissance, avec de surprenants phénomènes d’amplification et de résonance. En dépit de la complexité des procédés compositionnels, la musique de Wolfgang Mitterer, habilement conçue pour la scène, témoigne d’un tempérament théâtral affirmé.


L’œuvre, tendue, exige beaucoup des chanteurs qui affrontent des tessitures et des intervalles meurtriers : il y a peu de rôles, tous très exposés, mais la distribution se hisse à la hauteur de l’enjeu. Elsa Benoit, habile dans le haut du registre, incarne une Marta idéale, mélange de fraîcheur et de froideur des plus convaincants. Le personnage trouble de Grot revient à l’extraordinaire Georg Nigl, pointure dans l’exécution de la musique d’aujourd’hui, qui combine, au plus haut niveau, maîtrise vocale et engagement théâtral. Contre toute attente, un timbre grave étant présumé pour un personnage a priori fort et noble, le roi Arthur exige une voix de ténor à même de monter dans le registre de haute-contre, ce qui en souligne d’autant plus les faiblesses. Paradoxalement, aussi, un jeune chanteur l’interprète, Martin Mairinger, également persuasif. Ursula Hesse von den Steinen, mezzo-soprano, possède les qualités requises pour la reine, distante, hiératique, inhumaine. Le ténor Tom Randle se montre encore plus impressionnant en Capitaine, craint par le peuple, véritable tyran en devenir. Seuls huit choristes représentent les habitants du royaume : les Cris de Paris, excellents, accomplissent autant que les solistes. Très impliqué dans la musique contemporaine, Clement Power dirige un Ensemble Ictus à la précision chirurgicale et à l’engagement irréprochable.


La mise en scène de Ludovic Lagarde, qui a collaboré avec le compositeur lors de la création de Massacre, trouve le juste contrepoint avec la musique mais les multiples séquences oniriques du livret ne se reflètent pas clairement. Intense et hermétique, elle montre des personnages froids, déshumanisés, ne suscitant aucune empathie. La scénographie contribue à l’impression d’unité de ce spectacle percutant : épurée, mise en lumière avec raffinement et animée par la vidéo, elle s’inspire des data centers, gigantesques lieux d’entreposage de la mémoire. Traduire le livret de la jeune dramaturge constitue, en définitive, une idée malheureuse : l’ouvrage aurait peut-être davantage gagné en cohérence et en force si l’allemand, langue maternelle du compositeur et de la librettiste, avait été conservé. L’Opéra de Lille a raison, en tout cas, de persévérer dans l’audace et de défendre la musique contemporaine.


Le site de Wolfgang Mitterer



Sébastien Foucart

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com