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Les affres de la création

Paris
Opéra Bastille
03/01/2016 -  et 5, 13*, 21, 25, 28 mars 2016
Richard Wagner : Die Meistersinger von Nürnberg
Gerald Finley (Hans Sachs), Günther Groissböck (Veit Pogner), Dietmar Kerschbaum (Kunz Vogelgesang), Ralf Lukas (Konrad Nachtigall), Bo Skovhus (Sixtus Beckmesser), Michael Kraus (Fritz Kothner), Martin Homrich (Balthasar Zorn), Stefan Heibach (Ulrich Eisslinger), Robert Wörle (Augustin Moser), Miljenko Turk (Hermann Ortel), Panajotis Iconomou (Hans Schwarz), Roman Astakhov (Hans Foltz), Brandon Jovanovich (Walther von Stolzing), Toby Spence (David), Julia Kleiter (Eva), Wiebke Lehmkuhl (Magdalene), Andreas Bauer (Ein Nachtwächter)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, José Luis Basso (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan (direction musicale)
Stefan Herheim (mise en scène), Heike Scheele (décors), Gesine Völlm (costumes), Phoenix (Andreas Hofer), Stefan Herheim (lumières, d’après Olaf Freese), Martin Kern (vidéo), Alexander Meier-Dörzenbach (dramaturgie)


B. Skovhus, G. Finley (© Vincent Pontet/Opéra national de Paris)


C’est du Stefan Herheim assez sage que ces Maîtres chanteurs coproduits avec Salzbourg, qui les a découverts en 2013 au moment de l’année Wagner – Paris les voit donc aujourd’hui grâce à Nicolas Joel. Au lieu de poser une fois de plus la question de leur récupération par le nazisme, le Norvégien les transfère sur le plan de la création. Dès le Prélude, Sachs apparaît, réveillé en pleine nuit, victime des affres de l’inspiration, tel Wagner lui-même : à travers, au-delà plutôt de l’histoire, il nous raconte la genèse de l’œuvre dans la conscience du créateur identifié à ses personnages. Mais il s’agit toujours de l’art allemand : posés sur le sol de l’atelier, plutôt bibliothèque ou grenier à vrai dire, on voit les bustes de Goethe et de Beethoven. Quand l’opus sera près d’être achevé, Sachs dévoilera celui de Wagner, digne successeur de ses modèles.


A Bayreuth, le Parsifal de Herheim revisitait l’histoire de l’Allemagne. Les Maîtres revisitent celle de son imaginaire, avec le Knaben Wunderhorn ou les Contes de Grimm, dont les volumes constituent une partie de la scénographie : les personnages de contes pour enfants envahissent au deuxième acte la nuit de la Saint-Jean, devenue une sorte de sabbat délirant où la réalité se confond avec le rêve dans une féerie shakespearienne : pour le metteur en scène, Les Maîtres sont à Wagner ce que le Songe d’une nuit d’été est à Shakespeare, mélange foisonnant de truculence et de rêve, d’utopie et de grotesque, de réalisme et de poésie. Les objets prennent d’ailleurs parfois des dimensions gigantesques, comme les meubles de l’atelier qui deviendront le décor de chaque acte.


Ainsi s’accomplit le rêve de l’artiste aspirant à une cité idéale dont il sera le roi, tel le Faust de la seconde partie du drame de Goethe. Un rêve d’enfant aussi : Sachs a gardé ses jouets et construit au début, avec ses cubes, un Nuremberg selon son cœur. Le rêve de toute une génération enfin, visant à briser les carcans de cette idéologie Biedermeier où Herheim inscrit sa lecture, pour incarner une nouvelle Allemagne. Sachs se réincarne en Walther pour vaincre Beckmesser... mais à la fin, après s’être couronné lui-même, il reparaît sous les traits du Merker pris de folie. Là réside le plus intéressant de la production : le jeu de miroir entre le conservateur et le novateur, comme si l’un ne pouvait exister sans l’autre, comme si le délire de l’un n’était que l’envers de celui de l’autre, comme si l’un pouvait se muer en l’autre. On pense alors à Alberich et Wotan, un Wotan qui, ici, jetterait Brünnhilde dans les bras de Siegfried.


Le spectacle paraît moins éclaté, plus unitaire qu’à Salzbourg, grâce à une direction d’acteurs sur mesure, jubilatoire et virtuose, collant à la musique – Herheim est un des rares metteurs en scène d’aujourd’hui travaillant sur la partition... Et Paris a réuni une distribution d’assez haut vol, plus homogène qu’à Salzbourg, bien que certaines voix manquent de puissance. Avec un format de vrai hoher Bass wagnérien, Gerald Finley, que Bastille flatte moins que Glyndebourne, serait un Sachs idéal, par la finesse d’une composition très intériorisée et une ligne de Liedersänger. On oublie vite que Bo Skovhus n’a plus guère de voix : il chante Beckmesser, subtilement lui aussi, là où beaucoup le parlent ou l’éructent, pour faire un impayable numéro, à la fois ridicule et touchant. Bonnes clés de fa, décidément : Günther Groissböck ennoblit la bourgeoisie de Pogner, Michael Kraus impose un Kothner authentique maître chanteur et le Veilleur de nuit d’Andreas Bauer pourrait demain entrer dans la confrérie.


Même si Julia Kleiter échoue à suspendre l’ineffable début du Quintette, son Eva est toute de charme et de vivacité, bien assortie au Walther fougueux de Brandon Jovanovich, pas la plus belle voix du monde, mais avec assez de bronze sur la tessiture et de tenue du phrasé pour séduire. Le couple des valets n’est pas en reste : frais et juvénile David de Toby Spence, souple et délié, Lene opulente et pleine de relief du très beau mezzo de Wiebke Lehmkuhl.


Philippe Jordan l’emporte également sur Daniele Gatti – qui dirigeait pourtant la Philharmonie de Vienne. Il assure, d’abord, la conduite de l’œuvre, un des opéras de Wagner les plus difficiles à « tenir », en particulier le long dernier acte. Il l’ancre aussi dans la grande tradition polyphonique que Les Maîtres magnifie et dépasse, sans lourdeur et non sans humour, en préservant aussi sa puissance – qu’on ne doit pas, à vouloir trop dégraisser, éluder. On n’avait pas revu Les Maîtres sur la scène de l’Opéra depuis 1989 – James Conlon les avait seulement donnés en concert : ils y reviennent par la grande porte.



Didier van Moere

 

 

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