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Ne pas prendre l’opera seria au sérieux

Bruxelles
Cirque royal
02/09/2016 -  et 11, 12*, 14, 16, 17 février 2016
Florian Leopold Gassmann: L’opera seria
Marcos Fink (Fallito), Pietro Spagnoli (Delirio), Thomas Walker (Sospiro), Mario Zeffiri (Ritornello), Alex Penda (Stonatrilla), Robin Johannsen (Smorfiosa), Sunhae Im (Porporina), Nikolay Borchev (Passagallo), Magnus Staveland (Bragherona), Stephen Wallace (Befana), Rupert Enticknap (Caverna)
Musiciens de l’Orchestre symphonique de la Monnaie, B’Rock, René Jacobs (direction)
Patrick Kinmonth (mise en scène, décors, costumes), Andreas Grüter (éclairages), Fernando Melo (chorégraphie)


(© Clärchen und Mathias Baus)


Fallito a beaucoup de soucis: dans sa compagnie, Sospiro, le compositeur, et Delirio, le librettiste, se disputent en mettant la dernière main à L’Oranzebe, un opera seria dont la première a lieu le soir même. L’extravagante et capricieuse prima donna, Stonatrilla, débarque seulement maintenant alors que les répétitions se déroulent depuis plusieurs semaines. Une jeune chanteuse engagée pour interpréter des rôles masculins, l’arrogante Porporina, se moque de l’âge avancé de cette dernière tandis que la seconda donna, Smorfiosa, hypocondriaque, se plaint de ses problèmes de santé, ce qui n’empêche pas le primo uomo, Ritornello, de faire la cour à cette femme maniérée. Le maître de ballet, Passagallo, tente, quant à lui, d’imposer à Fallito, pour trois fois rien, les meilleurs danseurs du monde. Rien n’est décidément épargné à l’imprésario: voilà que les chanteurs se plaignent, maintenant, de leur costume.


L’opera seria (1769) de Florian Leopold Gassmann (1729-1774) ne prend pas l’opera seria au sérieux. De nombreux opéras, plus ou moins connus, exploitent le principe du théâtre dans le théâtre et mettent en scène des imprésarios, des compositeurs, des chanteurs, voire les mères des divas, comme Le Directeur de théâtre de Mozart, Le Convenienze ed inconvenienze teatrali de Donizetti, Ariane à Naxos et Capriccio de Strauss. Mais cette commedia per musica brocarde non seulement le monde du théâtre, avec ses rivalités, ses vanités, ses crises de nerf, mais aussi, et c’est ce qui le rend si original, les excès et les défauts d’un genre très prisé à l’époque. Malgré les mérites de la musique de Gassmann, habile, plaisante, maîtrisant les codes, à la fois, de l’opera seria et de l’opera buffa, c’est surtout le livret, drôle et acéré, de Ranieri de’ Calzabigi, collaborateur de plusieurs ouvrages de Gluck (Orfeo ed Euridice, Alceste, Paride ed Elena), qui retient l’attention, l’auteur ayant puisé dans un pamphlet de Benedetto Marcello. Gluck, Calzabigi: il ne s’agit pas d’une coïncidence, ces deux-là furent, à l’époque, les fers de lance de la réforme de l’opéra.


Malgré l’absence du castrat Gargana, la répétition générale a lieu au deuxième acte, le plus amusant et le plus enlevé des trois, à lui seul une véritable aubaine pour un metteur en scène. Calzabigi épingle en une heure tous les défauts inhérents au genre, notamment l’air de comparaison, qui évoque des dauphins et des thons, ou l’invraisemblable et interminable air du suicide que répète Détonante, qui a besoin d’une coupe pour se mettre en situation – faute de celle-ci, elle utilisera un encrier. Quant à la première, elle se tient au troisième acte. Dans le public, des spectateurs expriment leur mécontentement, certains quittant leur siège en pestant contre l’amateurisme des artistes et les boursouflures de l’ouvrage – même le directeur général de la Monnaie se prête au jeu. La représentation, ridicule et grandiloquente, cesse donc abruptement après seulement l’Ouverture et trois airs. Dans les coulisses, la troupe se dispute de nouveau suite à cet échec, les mères des trois divas, Caverna, Befana et Bragherona, se mêlant, elles aussi, à cette empoignade. Soudain, le compositeur annonce que Fallito a pris la fuite avec la caisse et tous maudissent les imprésarios et leurs descendants.


La scénographie de Patrick Kinmonth, qui a conçu, il y a un an, les décors et les costumes d’Alcina et de Tamerlano, exploite bien le potentiel du Cirque royal: deux tréteaux, séparés d’une passerelle, de part et d’autre de laquelle se répartit l’orchestre, la représentation avortée d’Oranzebe se déroulant sur celui du fond, dans un décor de carton-pâte très ordinaire. Vive et précise, conférant beaucoup de justesse aux situations et de relief aux personnages, la direction d’acteur anime cette comédie sans vulgarité, l’humour restant le plus souvent subtil, en tout cas jamais vulgaire, un piège dans lequel maint metteur en scène moins inspiré serait probablement tombé. La toute fin, cependant, trop excessive, s’essouffle et se disperse.


La Monnaie, qui a pu compter sur l’implication de nombreux spectateurs, amenés à siffler, à huer, à invectiver les artistes sur scène au troisième acte, a réuni, pour l’occasion, une distribution soudée, chacun se montrant aussi bon chanteur que comédien. Il faudrait tous les citer mais quelques-uns se distinguent grâce à leur implication et à leur virtuosité, Gassmann n’épargnant pas certains rôles auxquels échoient de redoutables airs: Mario Zeffiri (Ritornello), Pietro Spagnoli (Delirio), Marcos Fink (Fallito), Alex Penda (Stonatrilla) et Sunhae Im (Porporina) composent de savoureux personnages et jouent la carte de l’ironie sans trivialité, certains faisant preuve d’un humour ravageur. Impayables aussi, les trois mères, deux d’entre elles barbues comme Conchita Wurst, et qui passent une bonne partie de leur temps dans les loges disposées autour du plateau.


Le mérite de cette redécouverte revient à René Jacobs qui explique, dans les copieuses notes de programme, avoir d’emblée été séduit par le livret, avant de prendre connaissance de la musique, déjà exécutée, il y a plus de dix ans, à Schwetzingen, Berlin et Paris – le chef a effectué une révision de l’ouvrage mais le programme n’apporte pas d’informations à ce sujet. Il lui arrive même d’en remontrer aux chanteurs ou de laisser la baguette à Sospiro, pour un résultat, évidemment, calamiteux. Sa direction experte convainc du potentiel de l’ouvrage, les musiciens de B’Rock, renforcés par des membres de l’Orchestre de la Monnaie, se prêtant au jeu de bonne grâce, certains se montrant même facétieux, notamment lors d’un concours avec Porporina pour jouer à produire les plus haut aigus. Il y aura encore d’autres productions d’ici le retour au théâtre mais celle-ci deviendra probablement l’emblème de la très originale saison «hors les murs» de la Monnaie.



Sébastien Foucart

 

 

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