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Cinq joyaux de la musique française

Strasbourg
Palais de la Musique
01/28/2016 -  et 26 janvier 2016 (Frankfurt)
Georges Bizet : L’Arlésienne: Suite n° 2
Camille Saint-Saëns : Le Carnaval des animaux
Maurice Ravel : Ma mère l’Oye – La Valse – Boléro

Christina et Michelle Naughton (pianos)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (direction)


C. & M. Naughton (© Solea Management)


Salle abondamment remplie, voire presque comble, pour ce concert au programme délibérément attractif voire éducatif, où la moyenne d’âge du public prend un réel coup de jeune. Le contraire, à force d’accumuler les titres accrocheurs et vendeurs, aurait quand même été décevant !


Place donc à cinq joyaux de la musique française, que l’Orchestre philharmonique de Strasbourg a déjà présentés l’avant-veille lors d’un déplacement à l’Alte Oper de Francfort. En ouverture la Seconde Suite de L’Arlésienne paraît brillamment en place, avec des nets progrès dans l’homogénéité des cordes (la Farandole finale en bénéficie au premier chef, encore qu’un peu moins lors de la reprise d’après-concert, bis un peu plus relâché).


Changement de plateau lourd ensuite, puisqu’il y a deux pianos à installer pour le Carnaval des animaux de Saint-Saëns, avant la curieuse apparition des sœurs Naughton, sylphides jumelles calibrées à l’identique de la tête aux pieds (au gramme près ?), juchées sur d’interminables stilettos dorés. Chevelure vaporeuse et courte robe fuchsia ultra-légère à gauche, chevelure vaporeuse et courte robe fuchsia ultra-légère à droite : la nature semble avoir abusé du copié/collé. Ces similitudes visuelles, cultivées jusque dans la grâce étudiée de poignets recourbés qui feraient bisquer une Pavlova, se doublent de prégnantes analogies auditives : exactement le même jeu au cordeau, d’une infaillibilité dynamique implacable, voire teinté d’une sorte d’humour à froid bizarre dont on espère simplement qu’il est totalement volontaire (les rugissements du lion, terrifiants et ridicules, furieusement drôles !). Ceci n’empêche pas quelques vétilles de synchronisation, particulièrement dans les dangereuses galopades des «Hémiones». Grâce à Marko Letonja cette grande fantaisie zoologique se déroule sans anicroche, mais aussi avec de nombreux défauts de cohérence dans les ambiances auxquels on ne peut pas pas changer grand-chose. Cette version symphonique de l’ouvrage n’est pas vraiment satisfaisante : elle empèse un humour et un charme qui fonctionnent de façon beaucoup plus immédiate voire explosive dans la version à petits effectifs d’origine. Ici on s’amuse bien, mais la pochade manque de finesse et d’envol. On se console avec le superbe «Cygne» d’Alexander Somov, voire un truculent «Eléphant». En bis, les soeurs Laughton retrouvent leurs pianos après quelques allers-retours oscillants sur talons aiguilles, pour des Variations sur un thème de Paganini de Lutoslawski, mitraillées avec toujours les mêmes doigts d’acier et le même brio. Cela dit, ici même, on a pu entendre cette oeuvre à un niveau de musicalité et de liberté bien supérieur, il est vrai par Martha Argerich face à Evgeny Kissin. Difficile de reprocher à ces deux soeurs pleines d’énergie de ne pas encore pouvoir se mesurer à de pareilles références...


Seconde partie ravélienne riche où Marko Letonja tente d’imposer à une phalange qui connaît ce répertoire sur le bout des doigts une approche inhabituelle, plus dense en sonorité, plus souple dans ses respirations, somme toute davantage mittel-europa que de tradition française. Le résultat convainc plus ou moins, totalement approprié dans La Valse, très traînante parfois sur le premier temps et forçant sur les intonations vénéneuses : une Valse à classer parmi les versions apparemment lentes, où l’électricité s’engrange davantage par effet d’accumulation que par frénésie. Personnellement on reste davantage attaché à des fulgurances plus immédiates, dans une œuvre où toutefois beaucoup d’options sont permises. Mais ici le parti-pris est bien assumé et le tourbillon final libère enfin l’orchestre, qui peut s’y livrer sans entrave à son impressionnante démonstration de force habituelle. Ma mère l’Oye, réduite aux dimensions du recueil pianistique d’origine, laisse plus réservé : «Le Jardin féerique» est d’une superbe poésie, mais «Laideronnette» manque de facettes et de tranchant, et «Les Entretiens de la Belle et la Bête» languissent un peu sur leur tempo de valse.


Final spectaculaire, avec un Boléro qui expose magnifiquement toutes les qualités actuelles de l’orchestre. Marko Letonja s’efface, tout en restant très professionnellement présent quand c’est nécessaire. Crescendo habilement monté, déploiement somptueux de tous les rouages d’une orchestration modèle dont l’acoustique parfaite de la salle ne laisse pas perdre une miette : une véritable pièce d’orfèvrerie. Sans doute le plus extraordinaire Boléro que l’on ait pu entendre ici, depuis bien longtemps !



Laurent Barthel

 

 

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