Back
A contrepied Paris Maison de la radio 11/20/2015 - Anton Webern : Passacaglia, opus 1
Alban Berg : Concerto pour violon «Dem Andenken eines Engels»
Johannes Brahms : Symphonie n° 4, opus 98 David Grimal (violon)
Orchestre philharmonique de Radio France, Jukka-Pekka Saraste (direction)
D. Grimal (© Caroline Doutre)
On n’attendait pas forcément Jukka-Pekka Saraste dans un programme viennois, lui que l’on associe plus volontiers à Sibelius ou Nielsen. On avait tort : il a des ici des choses à nous dire, quitte à ne pas toujours nous convaincre.
Ce n’est pas un hasard si le concert débute par la Passacaille de Webern : elle ouvre une boucle que fermera, à la fin d’un programme sous le signe de la grande forme, celle de la Quatrième Symphonie de Brahms. Le chef finlandais y prend le contrepied d’une tradition : pas de lyrisme à la Mahler, pas de sensualité à la viennoise. La lecture est plus narrative que polyphonique, d’un expressionnisme sombre, abrupt, presque rugueux : on se croirait dans la forêt d’Erwartung.
Cela convient moins au Concerto à la mémoire d’un ange, manquant de souplesse et de rondeur, de maîtrise aussi dans la continuité du discours. La direction semble parfois déconstruire ce qui est si élaboré formellement, à cause sans doute d’une lecture trop verticale du maillage dodécaphonique. Cela dit, on sent bien ici la lutte entre l’ange de la mort et l’ange de la vie ; le violon de David Grimal incarne à merveille la silhouette de la jeune défunte, à travers une sonorité très pure et une grande sobriété dans le chant. On regrette seulement que le chef ne veille pas davantage à la balance entre l’orchestre et le soliste – pierre d’achoppement d’une partition qui récuse la virtuosité attachée au genre et relève plutôt du poème avec violon solo. En bis, écho des douloureux événements du moment, la nostalgique « Melodia » de la Sonate pour violon seul de Bartók, poignante par le dosage entre l’intensité et la pudeur de l’émotion.
Une irrésistible poussée anime la Quatrième Symphonie de Brahms, mais l’Allegro non troppo surprend – et irrite – ceux qui attendent d’abord un lyrisme tempéré, un équilibre entre la puissance et une Gemütlichkeit nostalgique. Voici un Brahms granitique, âpre, violent même, à l’éventail dynamique resserré, progressant par blocs plutôt que par construction d’une trajectoire : là encore, Saraste défie une tradition... là où Brahms la perpétue. L’Andante moderato rentre davantage dans le rang, plus structuré et plus lyrique même s’il préfère la franchise et la verdeur à une mélancolie automnale. La rudesse populaire de l’Allegro giocoso se mue en bruit et en fureur, plutôt scherzo bacchanale ou songe d’une nuit de sabbat, éruptif et haletant, prenant la musique à la gorge – et nous aussi. La Passacaille du final revient à l’esprit de l’Allegro non troppo : on entend rarement cet Allegro aussi energico e passionato. Saraste ne veut pas être contraint par l’élaboration des variations sur l’ostinato des huit notes là alors que beaucoup, au contraire, visent d’abord à restituer la lettre d’une forme. Mais si la fin est torrentielle, la musique n’avance plus par à-coups comme dans le premier mouvement, la ligne se déploie plus naturellement. Un Brahms différent, pas forcément le nôtre, mais remarquablement assumé.
Le concert était dédié à la mémoire des victimes des attentats du 13 novembre.
Didier van Moere
|