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Otello derrière le mur du Chung

Paris
Théâtre du Châtelet
03/26/2001 -  29 mars, 1er avril
Giuseppe Verdi : Otello
José Cura (Otello), Karita Mattila (Desdemona), Enkeljeda Shkosa (Emilia), Anthony Michaels-Moore (Iago), Cesare Catani (Cassio), Mirko Guadagnini (Roderigo), Egils Silins ( Lodovico), Juha Kotilainen (Montano / Héraut)
Daniele Abbado (mise en espace), Guido Levi (lumières)
Chœur de Radio France, Orchestre Philharmonique de Radio France, Myung-Whun Chung (direction)

La distribution, bien sûr, faisait rêver. On y entend enfin Cura dans le rôle qui a tant contribué à sa gloire, et cette attente explique peut-être la légère déception exprimée par un public partagé. Les notes sont là, ce qui est on le sait déjà beaucoup, mais sans les outrances sauvages des géniaux vociférateurs de jadis (Del Monaco, Vickers), et sans, loin s'en faut, la classe musicale et les subtilités dramatiques d'un Domingo à la scène ou d'un Pavarotti au concert. Sans vraie ligne de chant, avec ses couleurs inégales et apparemment peu d'idées sur le personnage, cet Otello bien mis paraît simplement prosaïque, et ne parvient à émouvoir que dans la scène finale. Quand Galouzine le chantera-t-il donc à Paris ? Michaels-Moore n'a pas non plus, dans le bas de la tessiture surtout, le relief du timbre qui conviendrait, mais quel art du phrasé ! Son Iago stylé joue avec bonheur la carte de l'ordinary man insoupçonnable dans la félonie - un regret alors, pourquoi commet il comme tant d'autres cette erreur d'appuyer la phrase-clé "quel fazoletto lo vidi in man… DI CASSIO" qui ne rend crédible la réaction d'Otello que chantée de manière timide, compatissante et attristée ? Le trésor de la soirée reste néanmoins Mattila, dans un rôle pour lequel elle avait annoncé son manque d'intérêt, mais où elle touche au sublime. Le cantabile italien fin de siècle exige évidemment un certain mimétisme de la part d'une voix rompue à d'autres univers, et en début de soirée, les couleurs et les accents peuvent paraître insuffisamment nuancés, et sa tendance bien connue à chanter un peu bas dans l'aigu quelque peu gênante. La manière dont l'artiste plie progressivement ses fabuleux moyens aux exigences de la musique n'en est que plus impressionnante, et nous vaut l'un des plus beaux airs du Saule jamais entendus, ligne immaculée, dynamique fine et timbre offerts à toutes les suggestions du texte transcendé par une imagination toujours en éveil. Mattila est de surcroît la seule à tirer son épingle du jeu d'un dispositif scénique et acoustique absurde, qui renvoie dans les cintres les décibels et l'émotion de ses partenaires - à commencer par les seconds rôles, pourtant excellents. Auusi beau que soient les éclairages de Guido Levi, le dépouillement wielandien et la gestuelle abstraite de la mise en espace constituent une fausse bonne idée, dans une œuvre qui n'est pas Tristan mais un drame psychologique subtil où tout relâchement mène droit à l'invraisemblance. Quant à cet orchestre au niveau du public et qui s'étale loin en arrière (avec, comble d'horreur, des pupitres d'harmonie surélevés !), il dresse devant les chanteurs un mur du son qu'inexplicablement, nulle paroi latérale ou supérieure ne vient combattre, gâchant pour une bonne partie la soirée. Il fallait choisir, soit un concert avec l'orchestre dans la cage de scène et les chanteurs devant, soit une configuration classique (et une vraie mise en scène ?) et les musiciens dans la fosse - si l'on y met ceux du Ring, on ne nous fera pas croire que l'effectif d'Otello n'y tient pas ! Faisant contre mauvaise fortune bonne oreille, du moins somme-nous en position de juger sans écran les qualités et les limites de l'orchestre. Parmi les premières, une discipline remarquable du jeu collectif, une sincérité d'engagement qui n'a nullement fondu depuis le départ de Janowski. Au premier rang des secondes, des inégalités de niveau toujours criantes entre les pupitres (quelques moments comiques chez les contrebasses et les flûtes), ainsi que des timbres beaucoup plus pauvres que ceux des autres formations parisiennes permanentes : les violoncelles, qui appartiennent pourtant à ce que le Philharmonique a de meilleur à offrir, en administrent la preuve avec une introduction du duo d'amour fort bien dessinée mais sans plénitude et sensualité de la matière. Inutile, il est vrai, de chercher ces dernières dans la direction de Chung, maîtriser à ce point une partition en demeurant tellement étranger à ses enjeux dramatiques faisant même figure de paradoxe. Obligation de surarticuler, interdiction de phraser et de laisser s'épancher le moindre lyrisme. Sans cesse, on découvre au travers d'une polyphonie admirablement construite des détails instrumentaux jusqu'ici occultés (interventions notamment des hautbois et clarinettes), jamais ces éléments ne se mettent au service d'une vision théâtrale. Cette lecture pointilliste semble d'ailleurs porter sur le public, le chef étant avec Mattila le plus applaudi des protagonistes de la soirée. On n'oserait soupçonner notre très pieux maestro d'avoir pour cette raison relégué ses chanteurs à la cave, tout de même ?


Vincent Agrech

 

 

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