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En noir et blanc

Paris
Opéra Bastille
10/20/2015 -  et 23, 26, 31 octobre, 3, 6, 9 novembre 2015
Arnold Schoenberg : Moses und Aron
Thomas Johannes Mayer (Moses), John Graham-Hall (Aron), Julie Davies (Ein junges Mädchen), Catherine Wyn-Rogers (Eine Kranke), Nicky Spence (Ein junger Mann), Michael Pflumm (Der nackte Jüngling), Chae Wook Lim (Ein Mann), Christopher Purves (Ein anderer Mann, Ephraimit), Ralf Lukas (Ein Priester), Julie Davies, Maren Favela, Valentina Kutzarova, Elena Suvorova (Vier nackte Jungfrauen), Shin Jae Kim, Olivier Ayault, Jian-Hong Zhao (Drei Alteste), Béatrice Malleret, Isabelle Wnorowska-Pluchart, Marie-Cécile Chevassus, John Bernard, Chae Wook Lim, Julien Joguet (Sechs Solostimmen)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Maîtrise des Hauts-de-Seine/Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris, José Luis Basso (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan (direction musicale)
Romeo Castellucci (mise en scène, décors, costumes, lumières), Cindy Van Acker (chorégraphie), Silvia Costa (collaboration artistique), Christian Longchamp, Piersandra Di Matteo (dramaturgie)


(© Bernd Uhlig/Opéra national de Paris)


Difficile partition, difficile sujet, que ceux de Moïse et Aaron, dont Schoenberg écrivit le livret et la musique. Le sujet ? La question de la représentation du divin comme relais du Verbe, à travers la lutte entre Moïse, le prophète ascète à qui manque le mot pour le transmettre, et l’éloquent Aaron, qui sait la vertu des images. La partition ? Une grande fresque, où il ne se passe pourtant presque rien, fondée sur le principe dodécaphonique et où l’écriture vocale prend divers visages, notamment celui du Sprechgesang – ainsi s’exprime Moïse, alors qu’Aaron a toutes les séductions, parfois mélismatiques, du ténor aigu. Schoenberg n’a jamais achevé son œuvre, peut-être parce qu’il y a mis trop de lui-même alors qu’il reviendra au judaïsme après l’écriture du deuxième acte : il ne composa pas le troisième, qu’il autorisa finalement à être représenté avec le texte seul. Hermann Scherchen créa la « Danse du veau d’or » en 1951, Hans Rosbaud la version intégrale, sur l’estrade en 1954, dans la fosse en 1957. A Paris, Rolf Liebermann mit pour la première fois Moïse et Aaron à l’affiche, en 1973, dans une traduction française d’Antoine Goléa dirigée par Georg Solti. Si l’on vit plus tard Moïse et Aaron au Châtelet, c’est, à l’Opéra, la première de l’original allemand.


Le mandat de Stéphane Lissner avait débuté par des reprises. Voici donc la première production qu’il a commandée et qu’il avait d’abord confiée au regretté Patrice Chéreau, avant de la proposer à Romeo Castellucci, une icône de l’avant-garde. Trois jours après une représentation destinée aux jeunes à seulement 10 euros – heureuse initiative – le spectacle a connu son vrai baptême du feu. Soirée musicale et mondaine, où l’on pouvait voir Jean-Louis Debré, Jérôme Clément, Louis Schweitzer, Roselyne Bachelot... Un audacieux défi, en tout cas, pour le maître des lieux, qui montrait son souci d’élargir le répertoire et d’inscrire sa programmation dans les réalités et les problématiques du moment – ici celles de l’exil, de la représentation de Dieu... On sera certainement plus près, avec lui, de Gerard Mortier que de Nicolas Joel...


La parole divine enregistrée, des mètres de bande bientôt tentaculaires, des mots qui peinent à s’ordonner et construire un sens. Un vrai taureau en guise de Veau d’or – dont le coût a fait beaucoup jaser. D’emblée, Romeo Castellucci semble évacuer la dimension religieuse du drame, pas davantage tragédie de l’exode, pour s’adresser à nous, hic et nunc, à travers une parabole dialectique de l’idée et de l’image. Le serpent ressemble à un vaisseau spatial digne de L’Odyssée de l’espace, le liquide visqueux qui envahit le deuxième acte tient à la fois de l’encre et du pétrole... Mais, au-delà de la réalité palpable de telle ou telle référence, il privilégie le symbole. Au premier acte, le désert est d’une blancheur de matin du monde, immaculée et vaporeuse, avec de vagues silhouettes humaines ressemblant à des mirages. Un monde où le Verbe reste inaccessible, un monde encore préservé de la souillure : ce Moise et Aron en noir et blanc, tel un film... muet.


La lecture, pourtant, dépasse le manichéisme. Cette encre noire, en lieu et place du sang des sacrifices, remplit au deuxième acte une sorte de piscine d’où l’on sort maculé, mais elle servira, à la fin, à transcrire sur le sol les Tables de la loi. Comme si toute pureté était illusoire, comme si le mot véhiculant l’idée ne pouvait résister à l’attraction, à la pollution – ou au secours – de l’image idolâtre. Le drame revu par Castellucci finit-il sur la défaite de Moïse murmurant « O mot, qui me manque » ? Alors que l’on voit des images d’ascension vers des neiges éternelles, sans doute celles du Sinaï, des rideaux s’effondrent. Fin du spectacle, fin de la « représentation » aussi. Or c’est Aaron qui voulait représenter Dieu... Double défaite, peut-être... A moins que, justement, Moïse et Aaron soient éternellement liés. Un troisième acte parlé, où l’on verrait Aaron mourir alors que le peuple le libère sur l’ordre de Moïse, n’aurait sans doute pas sa place ici.


C’est parfois très beau plastiquement, surtout au premier acte, c’est pensé et réglé. Mais la production, sans doute victime de son refus d’une théâtralité au premier degré, qui existe malgré tout chez Schoenberg, pâtit d’une sorte de froideur, d’un manque de rythme, voire d’un certain statisme. On a souvent l’impression de voir la mise en images très intellectualisée d’une symbolique, non exempte ici ou là d’une certaine pesanteur didactique. S’est-on souvenu que Schoenberg avait d’abord pensé à un oratorio ?


Pour diriger Moïse et Aaron, les uns adoptent une posture sèchement analytique, fidèles à l’idée – contestable – qu’ils se font de l’Ecole de Vienne. D’autres exaltent ses violences expressionnistes, qui se déchaînent lors des orgies du deuxième acte. Certains préfèrent rattacher la partition à cette grande tradition allemande que Schoenberg – grand admirateur d’un Brahms – n’a jamais reniée. Philippe Jordan prend un autre parti : celui d’une clarté chambriste, où la précision de l’analyse touche aussi les timbres, celui d’une souplesse rythmique qui donne du mouvement au flux musical – il nous rappelle qu’il y a de la valse dans Moïse et Aaron. Schoenberg, ainsi, se rapproche parfois de Debussy : il fallait oser, mais cela fonctionne très bien – et la « mélodie de timbres », c’est Schoenberg, non ? Si l’on peut trouver ailleurs plus d’urgence dramatique, le directeur musical a jeté une lumière différente sur la partition et gagné son pari en nous montrant que « le dodécaphonisme est un moyen, non un but ».


Les voix sont bien distribuées, jusqu’aux rôles secondaires. L’Opéra a eu raison d’offrir Moïse à une belle voix, ce que l’on n’associe pas toujours au Sprechgesang : Thomas Johannes Mayer a une formidable présence en Moïse. L’Aaron de l’excellent John Graham-Hall se situe un peu en retrait, à cause d’un timbre gris et d’aigus parfois tirés – il est vrai que ce rôle haut perché en a époumoné plus d’un. Mais le protagoniste de l’œuvre reste peut-être le chœur, confronté à une partie d’une difficulté inouïe, pour la justesse et la mise en place : José Luis Basso et Alessandro di Stefano ont fait un travail remarquable, hissant au plus haut sommet le Chœur de l’Opéra.


On se souvient de la triste Mireille que nous avait infligée Nicolas Joël pour inaugurer son mandat. Même si ce Moïse et Aaron inspire scéniquement des réserves, il nous dit quelque chose et il est musicalement digne de l’Opéra de Paris : Stéphane Lissner a réussi son examen d’entrée.


Le spectacle en intégralité sur le site Arte Concert:






Didier van Moere

 

 

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