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La machinerie straussienne de Leipzig Paris Philharmonie 1 10/13/2015 - et 8 (Wien), 23 (London) octobre 2015 Richard Strauss : Tod und Verklärung, opus 24 – Metamorphosen – Till Eulenspiegels lustige Streiche, opus 28
Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour clarinette en la majeur, K. 622 Martin Fröst (clarinette)
Gewandhausorchester Leipzig, Riccardo Chailly (direction)
M. Fröst (© Mats Bäcker)
Pour son troisième et dernier concert parisien, l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig a encore frappé fort! Car, sitôt le concert conclu par un Till impressionnant de virtuosité, ce ne sont que louanges que l’on a pu entendre de-ci de-là en quittant la grande salle de la Philharmonie pour regagner le métro parisien... Et effectivement, on n’aura pu qu’admirer une fois encore l’un des plus grands orchestres du monde sous la conduite de son chef titulaire (avant qu’Andris Nelsons n’en prenne les rênes à compter de la saison 2017-2018) qu’il suit les yeux fermés.
Mort et Transfiguration, qui débutait ce concert de nouveau consacré à des poèmes symphoniques de Richard Strauss (1864-1949) et à un concerto de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), impressionne d’emblée par la cohésion des cordes, même si l’on ne ressent guère de tension de prime abord, les première minutes faisant presque craindre une interprétation quelque peu apathique. Fort heureusement, dès l’entrée en lice des huit contrebasses annonçant les premiers emportements du tutti, on est pris à la gorge, les cordes grondent, les cuivres rougeoient et les bois sont aériens. Riccardo Chailly conduit l’ensemble avec une maîtrise de chaque instant, aucun détail ni aucun départ ne lui échappent: son geste est impérial et la fin de l’œuvre, apaisement aux couleurs d’une parfaite plénitude, emplit la salle d’une profonde émotion. Même si l’on aurait parfois apprécié davantage de violence dans le propos, chapeau bas!
L’émotion, on la retrouva, et de quelle manière là encore, dans les Métamorphoses, une de ces pièces que l’on ne peut voir autrement que comme faisant partie du testament musical de Strauss. Le thème de l’Héroïque, leitmotiv de l’œuvre, était certes déjà poignant mais force est de constater que la façon dont Strauss l’a réutilisé implique une plus grande noirceur encore, que les cordes de l’orchestre rendirent de la plus belle manière. Sous la houlette du premier violon solo Frank-Michael Erben – mais n’oublions pas non plus les autres chefs de pupitres à commencer par l’excellent altiste Yu Sun! –, le thème originel se déploie et se transforme sous nos yeux sans aucune baisse de tension, avec un lyrisme que Chailly, dirigeant l’œuvre sans baguette, adopte sans minauderie ni épanchement excessif. La conduite et le résultat sont encore une fois irréprochables. C’est également l’impression qui ressort de Till l’Espiègle, occasion pour l’orchestre de presque quintupler ses effectifs par rapport aux seuls vingt-trois instrumentistes présents sur scène pour les Métamorphoses qui précédaient... Bénéficiant de musiciens à la musicalité et, en l’occurrence, surtout peut-être à la technique hors pair, le chef italien nous délivra une superbe lecture de cette véritable farce musicale mais c’est justement ce qui nous a un peu déçu: tout est excellemment bien fait mais où est le sarcasme de cette musique qu’un Furtwängler, par exemple, savait si bien faire ressortir? Où est ce côté grinçant qui oscille entre burlesque et tragédie (n’oublions pas que Till meurt à la fin!)? On peut certes regretter que, pour cette dernière œuvre la mariée fût trop belle, mais le résultat n’en fut pas moins enthousiasmant, soulevant l’ovation du public.
Ce soir, en guise d’incursion dans le répertoire classique, point de concerto pour violon ni pour piano comme cela avait été le cas au cours des précédents concerts mais le fameux Concerto pour clarinette de Mozart, joué par un des plus talentueux clarinettistes de notre époque. Et pourtant... Si la technique de Martin Fröst est incroyable et ne souffre aucun reproche (il le prouva une nouvelle fois dans le bis, des variations sur le thème de Till l’Espiègle), le soliste est totalement passé à côté de l’œuvre et de ce qu’elle doit être. On passera rapidement sur son attitude sur scène, sans cesse en mouvement, comme encombré par ses grandes jambes, ne cessant de glisser ses pieds à droite ou à gauche au point qu’on se demande comment il a pu ne pas tomber au cours de l’interprétation. Surtout, contrairement à Weber (et encore), ce concerto n’est pas que virtuosité: au contraire! Or, c’est ce seul aspect que Fröst fit ressortir: les arpèges s’enchaînent, les cadences ne sont qu’occasion de démonstration brillante et de fioritures en tous genres mais on n’aura pas entendu une seule véritable note de musique. Le discours est plat – y compris, c’est un comble, dans le deuxième mouvement! – et lisse, sans aspérité mais sans émotion aucune. On passe totalement à côté de l’essentiel. Ce fut d’autant plus dommage que, là encore, l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig fut idéal par sa légèreté et sa discrétion. A n’en pas douter, Richard Strauss fut donc le seul vainqueur de cette soirée, faisant espérer de prochaines venues de cet orchestre et de ce chef exemplaires.
Le site de Martin Fröst
Sébastien Gauthier
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