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La voix en majesté Bordeaux Auditorium Dutilleux 09/24/2015 - et 27, 30* septembre, 2 octobre 2015 Giuseppe Verdi : Don Carlo Adrian Sâmpetrean (Filippo II), Leonardo Caimi (Don Carlo), Tassis Christoyannis (Rodrigo), Wenwei Zhang (Il Grande Inquisitore), Patrick Bolleire (Un frère), Elza van den Heever (Elisabetta di Valois), Keri Alkema (Eboli), Rihab Chaieb (Tebaldo), Frédéric Reussard (Il conte di Lerma), Thomas Bettinger (Un héraut royal), Anaïs Constant (Voix du ciel)
Chœur de l’Opéra national de Bordeaux, Chœur Intermezzo, Salvatore Caputo, Philippe Molinié (direction des chœurs), Orchestre national Bordeaux Aquitaine, Paul Daniel/Pierre Dumoussaud* (direction musicale)
Charles Roubaud (mise en scène), Emmanuel Favre (décors), Katia Duflot (costumes), Marc Delamézière (lumières), Virgile Koering (vidéo)
(© Frédéric Desmesure)
Depuis son inauguration en 2013, l’Auditorium Dutilleux offre à l’Orchestre national de Bordeaux Aquitaine un écrin où il peut enfin s’épanouir, et le travail de Paul Daniel depuis son arrivée à la tête de la phalange en témoigne, ainsi qu’un Tristan und Isolde a pu le confirmer en avril dernier. D’abord conçue pour le concert, la salle accueille également des productions scéniques, et l’on avait salué dans le Wagner l’habileté de Giuseppe Frigeni à tirer un parti poétique des particularités du plateau. Pour le Don Carlo, dans l’usuelle version de Milan de 1884, qui ouvre la saison, Charles Roubaud, fidèle à sa démarche illustrative, se contente essentiellement de tapisser les murs de projections vidéographiques, réalisées par Virgile Koering, et qui dessinent les lieux du drame – des statues marmoréennes du cloître de Saint-Just, à la cathédrale de Valladolid en passant par les frondaisons du jardin de la Reine et la prison de Carlo – prolongés par quelques symboles sur la tribune arrière revêtue de housses dorées et où, dans des habits contemporains qui contrastent avec la pompe vestimentaire d’époque des chanteurs sur la scène, prend place le chœur, dans lequel, aux forces de la maison, s’ajoutent celles d’Intermezzo, respectivement préparées avec efficacité par Salvatore Caputo et Philippe Molinié. La désintégration finale, par magie informatique, du dispositif visuel cède sans doute à quelque facilité plus qu’à une authentique nécessité. Au-delà de l’habillage, on pourra saluer le métier dans la direction d’acteurs et les mouvements de foules.
Suite au désistement d’Alain Lombard, pour raisons de santé, c’est le directeur musical de l’orchestre qui a pris le relais pour les deux premières représentations, laissant ensuite la baguette à son assistant pour les dernières, à l’image de celle du mercredi 30 septembre. Si la forme de la fosse, recouverte en partie par le plateau, favorise l’expression de la belle homogénéité à laquelle est parvenue la formation bordelaise – les partitions de l’échanson de Bayreuth en tirent un évident bénéfice – l’incisivité plus franche de Verdi peut, à cet aune, induire quelques frustrations, sans pour autant altérer la finesse et la maîtrise avec laquelle le jeune chef soutient les couleurs de la partition, aérant habilement les interventions solistes, à défaut de les tonifier suffisamment.
La distribution vocale réserve des satisfactions que l’on aimerait voir réitérées plus souvent en d’autres maisons. Remplaçant Carlo Ventre initialement programmé, Leonardo Calmi fait, dans le rôle-titre, de brillants débuts à Bordeaux: son Infant vibre d’une évidente puissance que l’éclat de sa voix supporte avec vaillance. Agé d’à peine plus de trente ans, Adrian Sâmpetrean dévoile un Philippe II à la présence déjà souveraine, sans pour autant faire oublier les naturelles potentialités que la basse roumaine ne manquera pas de développer au fil d’une carrière dont il n’est sans doute encore qu’à l’aube, pour enrichir le savoir-faire par l’instinct dans la lisible dialectique à l’œuvre dans les sentiments et devoirs du monarque. Wenwei Zhang affranchit le Grand Inquisiteur de la grisaille où on confine parfois l’expérience de son pouvoir, tandis que Patrick Bolleire s’acquitte remarquablement des interventions presque outre-tombales du frère que l’on prend pour Charles Quint. Keri Alkema se révèle une solide Eboli, d’une tessiture homogène qui n’a nul besoin d’artifice. Rihab Chaieb donne à Tebaldo une fraîcheur souriante. Mentionnons encore l’égale honnêteté du comte de Lerma par Frédéric Reussard et le Héraut dévolu à Thomas Bettinger, sans oublier la Voix céleste – et diaphane – d’Anaïs Constans.
Mais permettons-nous de garder le meilleur pour la fin. En Elisabeth de Valois, Elsa van Heever affirme une noblesse intense qui irradie son «Tu che le vanita» comme son ultime duo avec son fils qui lui était initialement promis. Quant à Tassis Christoyannis, l’on ne peut que se réjouir d’entendre, une fois de plus, l’un des meilleurs barytons Verdi de sa génération, livrant ici un valeureux Posa qui aurait gagné à être dirigé avec plus d’inventivité par la régie: l’admirable incarnation, d’une finesse autant musicale que dramatique, aurait pu alors être d’anthologie.
Gilles Charlassier
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