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Brad Mehldau: The Salvation Hunters Brad Mehldau (piano), Joris Roelofs (clarinette), Michael Williams (violoncelle) Vienna Konzerthaus 10/02/2015 - Brad Mehldau: The Salvation Hunters Brad Mehldau (piano), Joris Roelofs (clarinette), Michael Williams (violoncelle)
B. Mehldau (© Longshot’s Blog)
Brad Mehldau est un artiste qui ne se laisse pas aisément enfermer dans une traditionnelle grille de genres. Tant pis pour ceux qui étaient venus avec l’intention d’écouter un concert de jazz: la musique d’accompagnement du film muet The Salvation Hunters (1925), premier opus de Josef von Sternberg, issue d’une commande du Konzerthaus et d’ARTE/ZDF, est d’inspiration résolument classique.
Le film commence au bord de l’eau, présentant un à un les éléments du récit, alors qu’un thème musical quasi brahmsien, fluide et cyclique, est déroulé par le trio. Les modulations de la musique sont étonnamment subtiles et parent les images en noir et blanc d’une harmonieuse palette de coloris. Un nouveau thème, fondé sur une pédale rythmique reprise par chacun des instrumentistes, introduit un climat plus dramatique qui accompagne les scènes de poursuites entre les personnages du film. Le style rappelle cette fois certaines pièces de Poulenc des années vingt. La seconde partie du film se déroule dans une ville anonyme (Los Angeles de fait), où l’on ne trouve que «la pierre, la fumée et parfois le soleil». Quelques éléments jazziques sont alors introduits à la manière de Gershwin (Un Américain à Paris) pour instantanément créer l’atmosphère métropolitaine.
Brad Mehldau ménage des moments de silence avec un solide sens de la structure, afin de respecter les moments dramatiques du scénario, marquer les transitions entre les scènes ou simplement rafraîchir l’écoute. Il utilise avec précaution, et c’est heureux, des effets de bruitages littéraux (notons tout juste une porte qui s’ouvre en grinçant, reproduite à la clarinette, ou une glissade traduite en glissando musical) et se concentre plutôt sur l’atmosphère du film. La réussite du projet se révèle intégralement lors des bis qui reprennent deux des thèmes principaux: quoi de plus convaincant en effet que de réécouter la musique sans l’image, et de confirmer que non seulement la partition se suffit à elle-même, mais que de plus les images du film – inextricablement liées à l’accompagnement musical – reviennent instantanément à l’esprit. La clef tient sans doute aux qualités classiques de la composition, qui s’inspire librement – sans les copier – de compositeurs contemporains aux films. Saluons donc Mehldau, en compositeur cultivé, ainsi que ses complices de la soirée, le clarinettiste Joris Roelofs et le violoncelliste Michael Williams, tous trois impeccables sur scène.
Dimitri Finker
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