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Raretés et sensibilité

Toulouse
Auditorium Saint-Pierre-des-Cuisines
09/21/2015 -  
Marie Jaëll : Les Beaux Jours
Maurice Ravel : Le Tombeau de Couperin
Gustave Samazeuilh : Suite en sol majeur
César Franck : Prélude, Choral et Fugue

Dana Ciocarlie (piano)




Fidélité et instinct de découverte, tels pourraient être deux des emblèmes de Piano aux Jacobins, qui, depuis plus de trente ans, réussit une délicate alchimie entre légendes du clavier et révélations de talents souvent inconnus jusqu’alors des scènes françaises, et que le concert de Dana Ciocarlie de lundi 21 septembre résume suprêmement. Déjà invitée en 2011 et 2012, la fine musicienne d’origine roumaine met à l’honneur le partenariat du festival avec le Palazzetto Bru Zane, en exhumant deux pièces des confins du romantisme français tardif, qu’elle apparie intelligemment avec deux pages incontournables du répertoire.


Contemporain du Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy, l’album de douze miniatures Les Beaux Jours de Marie Jaëll se livre comme un versatile kaléidoscope d’instantanés. Fruit d’une profonde connaissance de l’instrument, presque scientifique pourrait-on dire, l’ouvrage porte l’empreinte des recherches pédagogiques de la compositrice sur le toucher ou la perception, autant que de son authentique familiarité avec les styles des grands maîtres, tels Chopin ou Schumann. Du premier, «Après la valse» en restitue subtilement le souvenir, en particulier par le fluide rubato de la main gauche. La nature cyclique du recueil n’a pas besoin de discours pour s’affirmer naturellement sous les doigts de la soliste, et se reconnaît instinctivement l’ombre des Scènes d’enfants dans le joyeux sautillement de «Berger et bergère», auquel répondent les staccatos d «On rit», délicatement voilés d’une tendresse rêveuse légèrement mélancolique qui s’épanouit dans le finale, «On rêve au mauvais temps». Telles des esquisses en aquarelle, il suffit de quelques notes, de quelques gestes, pour suggérer une saynète ou une atmosphère, de larges arpèges comme alambic aux «Senteurs du jasmin», le balancement du «Tocsin», ou encore les «Murmures du ruisseau» ou «de la forêt».



D. Ciocarlie


La décantation du Tombeau de Couperin de Ravel, deux décennies plus tard, offre un pendant souverainement accompli à ce travail lumineux du clavier. Dès le Prélude, Dana Ciocarlie magnifie un évident sens du détail, que l’on retrouve dans la difficile Fugue, et que la Forlane met davantage à l’aise: la chaleur mélodique, sinon narrative, se libère, et sous une distinction un rien bonhomme affleure une fantaisie harmonique flirtant avec la blue note. Dans un Rigaudon décidé, les motifs en contrechant sont dessinés avec autant de minutie que de savoureuse sensibilité. L’indolence du Menuet contraste avec l’exaltation de l’essence rythmique de la polyphonie de la Toccata.


La seconde partie du récital se place sous le signe d’un romantisme plus dense, et, pour être accouchée en 1902, à l’heure de Pelléas et Mélisande, la Suite en sol majeur de Gustave Samazeuilh n’en regarde pas moins vers le siècle précédent. En mode mineur, les quatre premiers morceaux se distinguent par l’ampleur du discours et la longueur de phrases chargées de sentiments. Le Prélude en porte d’emblée le témoignage, que ne démentent pas la Française, ni la Sarabande. Le Divertimento ne dissimule guère sa fascination pour le corpus wagnérien, et sait prendre parfois l’allure d’une chevauchée que n’auraient pas reniée les Nibelungen. Après une Musette aux teintes pastorales qui signe la bascule vers le majeur, la Forlane conclusive fait oublier le nonchalant raffinement ravélien, et impose une puissance germanique à laquelle le Prélude, Choral et Fugue de Franck donne un prolongement sans doute plus personnel. Dana Ciocarlie en fait vibrer l’architecture et les récurrences inimitables sans jamais se figer dans l’intellectualisme de la construction. A l’instar de l’insistance de la main droite suggérant la lourdeur funèbre du glas, elle révèle les ressources expressives d’une partition qui tire parti des effets de registres et explore des richesses techniques parfois paradoxales.


L’imagination de la pianiste française d’origine roumaine se donne une irrésistible tribune dans quatre généreux bis. A côté d’une Valse chopinienne et une Marche turque au sourire complice, la troisième des pièces de Musica Ricercata de Ligeti se caractérise par une liberté et une originalité inédites, sculptant les lignes avec une dynamique inventive, quand une Danse de Paul Constantinescu vient refermer la soirée sur des accents de pays natal nullement enfermé dans ses frontières, et dont la puissance peut entretenir une fraternité avec un Bartók. Dans l’acoustique idéale de Saint-Pierre-des-Cuisines, on ne saurait mieux dire l’intelligence du – large – répertoire de Dana Ciocarlie.


Le site de Piano aux Jacobins
Le site de Dana Ciocarlie



Gilles Charlassier

 

 

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