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Parallèles

Prades
Codalet (Abbaye Saint-Michel de Cuxà)
08/08/2015 -  
Claude Debussy : Prélude à l’Après-midi d’un faune (arrangement Hanns Eisler) [1] – Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé [2] – Quatuor, opus 10 [3]
Maurice Ravel : Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé [4] – Quatuor [5]

Ahlima Mhamdi (mezzo), Patrick Gallois (flûte, piccolo), Yaeram Park [4] (flûte), Jean-Louis Capezzali (hautbois), Michel Lethiec [4], Isaac Rodriguez (clarinette, clarinette basse), Svetlin Roussev, Mihaela Martin (violon), Diemut Poppen (alto), François Salque (violoncelle), Jurek Dybal (contrebasse), Peter Frankl [2], Yves Henry [1, 4] (piano), Satuchi Kubo (harmonium), Jean-Pierre Lagard (percussion); Fine Arts Quartet [3]: Ralph Evans, Efim Boico (violon), Juan-Miguel Hernandez (alto), Robert Cohen (violoncelle); Quatuor de Shanghai [5]: Weigang Li, Yi-Wen Jiang (violon), Honggang Li (alto), Nicholas Tzavaras (violoncelle)


P. Frankl, A. Mhamdi (© Hugues Argence)


Le festival Pablo Casals alterne soirées consacrées au grand répertoire tel qu’on le pratique à Prades depuis 1950 et programmes thématiques finement conçus par le directeur artistique, Michel Lethiec. Et c’est avec sa gourmandise coutumière qu’il présente au public en quelques mots ce concert intitulé «Chez Mallarmé», en forme de parallèle entre Debussy, l’aîné, en première partie, et, Ravel, son cadet de treize ans, après l’entracte. L’enthousiasme de l’improvisation l’ayant sans doute emporté sur la précision, le spectateur aura cependant pu comprendre que les deux compositeurs, en 1913, ont demandé au poète, pourtant disparu quinze ans plus tôt, l’autorisation de mettre ses textes en musique.


Cela étant, chez nos Corneille et Racine de la musique française, les ressemblances et autres coïncidences sont pour le moins troublantes, d’ailleurs relevées dès leur vivant avec plus ou moins de mauvaise foi de la part de leurs soutiens respectifs, prompts à crier au plagiat. On aurait ainsi très bien pu commencer la confrontation par «Ondine», deuxième pièce de Gaspard de la nuit (1908) de Ravel, et la pièce homonyme de Debussy, huitième des Préludes du Second Livre (1912).


Mais les musiciens débutent par le Prélude à l’après-midi d’un faune (1894), dans une adaptation pour onze instruments (flûte, hautbois, clarinette, piano, harmonium, percussion, quatuor à cordes et contrebasse). Si un doute existe quant à son auteur – Hanns Eisler (1898-1962) ou Benno Sachs (1894-1920) –, une chose est en revanche certaine: l’arrangement, réalisé en 1920, était destiné à l’«Association pour les exécutions musicales privées» mise sur pied par Schönberg en 1918. Certes, rien ne remplacera jamais les sortilèges symphoniques debussystes, mais avec Patrick Gallois à la flûte, l’excellence de ses partenaires et l’acoustique généreuse de l’abbaye, on y croirait presque, ne serait-ce un harmonium électronique du plus vilain effet, sonnant comme un orgue Hammond. Point de transcription de Ravel, en revanche, pour commencer la seconde partie, alors qu’il devait bien exister aussi quelque arrangement d’une pièce brève de Ravel, par exemple la Pavane pour une infante défunte, ou qu’on aurait pu jouer son beau diptyque Introduction et Allegro.


Ce sera toutefois la seule petite entorse à la parfaite symétrie du programme, qui propose ensuite une double comparaison. La première fait intervenir deux grands absents, mais dont l’importance est capitale pour la compréhension de ce moment tout à fait particulier de l’histoire de la musique. On retrouve d’abord Schönberg, dont le Pierrot lunaire, tout juste créé, attira Stravinski à Berlin en décembre 1912. A son retour, il se lança dans la composition des Trois Poésies de la lyrique japonaise, achevées dès janvier 1913. La première en fut donnée le 14 janvier 1914 à Paris, en même temps que celle des Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé de Ravel, écrits entre avril et août 1913, exactement pour le même effectif inattendu, jamais réuni jusqu’alors et dans lequel il faut sans doute aussi voir une parenté avec les Quatre Poèmes hindous de Maurice Delage (eux aussi créés à ce même concert): un quatuor de bois (deux flûtes et deux clarinettes) et un quatuor à cordes, arbitrés par un piano. Ravel dédia la première de ses mélodies à Stravinski, qui lui avait dédié la troisième des siennes. Et Debussy dans tout ça? Durant l’été 1913, pendant que Ravel est lui-même au travail, il se consacre à... Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé, où la voix est seulement accompagnée d’un piano, mais dont les deux premiers textes («Soupir» et «Placet futile») sont exactement ceux choisis par Ravel. Ceux-là, dédiés «à la mémoire de Stéphane Mallarmé et en hommage à Madame E. Bonniot (née G. Mallarmé)», ne furent créés qu’en mars 1914.


La mezzo Ahlima Mhamdi (née en 1983), «révélation classique» 2013 de l’ADAMI, chante successivement les deux recueils, entourée, pour le premier, de la bienveillance quasi paternelle, si touchante, du bientôt octogénaire Peter Frankl, et, pour le second (avec l’aide de la partition), d’un bel aréopage d’artistes. D’une séduisante homogénéité, même si elle détimbre parfois dans le grave, la voix est agréable, se place bien, se projette avec aisance et les aigus sont sûrs, mais l’attention portée à la diction est nettement insuffisante s’agissant d’un auteur et d’un compositeur pour lesquels le moins qu’on puisse dire est que chaque mot compte.


Autre «match», pour reprendre le mot de Michel Lethiec, celui entre les quatuors à cordes de compositeurs presque ou tout juste trentenaires, tous deux un coup d’essai dans le domaine de la musique de chambre en même temps qu’un coup de maître dans cette discipline pourtant réputée la plus exigeante. Mais si «match» – amical, bien sûr – il y a, c’est au moins autant entre les interprètes qu’entre les œuvres, que la postérité a tôt fait de consacrer et d’associer, notamment au disque. D’une belle qualité instrumentale, malgré un ultime trait savonné qui plonge le premier violon dans un dépit aussi manifeste que compréhensible, les Fine Arts enflamment le Quatuor (1893) de Debussy – les applaudissements fusent d’ailleurs après le premier mouvement – avec une puissance et des sonorités généreuses faisant de l’œuvre un rejeton de la grande famille franckiste, ce qui est loin d’être un contresens.


La compétition entre cet ensemble quasi septuagénaire, probablement le plus ancien quatuor en activité (continue depuis 1946) même si ses membres ont évidemment été entièrement renouvelés à plusieurs reprises depuis lors, et le Quatuor de Shanghai, fondé en 1983 par des étudiants du conservatoire de cette ville, était-elle a priori inégale? Rien n’est moins sûr, car les Chinois n’ont pas tardé à parfaire leur formation aux Etats-Unis, où se situe aujourd’hui l’essentiel de leur activité et, surtout, le parcours des deux quatuors est assez similaire. D’un côté, les Chinois ont conservé deux de leurs fondateurs, le violoniste Weigang Li et l’altiste Honggang Li, auxquels se sont ensuite associés le violoniste Yi-Wen Jiang en 1994 (prenant la place jusqu’alors tenue par Honggang Li) et le violoncelliste américain Nicholas Tzavaras (né en 1975) en 2000. De l’autre, Ralph Evans et Efim Boico, respectivement premier et second violons, ayant rejoint les Fine Arts respectivement en 1982 et en 1983, ont la même ancienneté que leurs homologues chinois; violoncelliste depuis 1979, Wolfgang Laufer (1947-2011) a été remplacé par le Britannique Robert Cohen (né en 1959), puis le Canadien Juan-Miguel Hernandez (né en 1985) a pris en 2013 la place que tenait depuis 2009 l’altiste Nicolò Eugelmi, ce qui ne semble en rien avoir entamé la cohésion du groupe.


Bref, les deux ensembles partagent un profil comparable, mais le Quatuor de Shanghai, qui a enregistré le Quatuor (1903) de Ravel il y a une quinzaine d’années (couplé, chez Delos, avec celui de Bridge), ne s’impose pas avec autant d’évidence: instrumentalement homogène mais moins brillant, il manque de caractère, ne semblant se libérer que dans le Finale, nettement plus convaincant que les trois précédents mouvements – mais il aura certainement un jour sa revanche, tout aussi amicale et artistique.


Le site de Peter Frankl
Le site du Quatuor de Shanghai



Simon Corley

 

 

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