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Une Traviata peut en cacher une autre Zurich Opernhaus 04/18/2015 - et 21, 24, 28 avril, 1er, 3*, 6, 8, 14, 17, 20, 23 mai 2015 Giuseppe Verdi : La traviata Sonya Yoncheva/Ailyn Perez* (Violetta Valéry), Pavol Breslik*/Matthew Polenzani (Alfredo Germont), Quinn Kelsey (Giorgio Germont), Olivia Vote (Flora Bervoix), Ivana Rusko (Annina), Dmitry Ivanchey (Gastone), Cheyne Davidson (Baron Douphol), Valeriy Murga (Marquis D’Obigny), Dimitri Pkhaladze (Dottor Grenvil), Airam Hernandez (Giuseppe), Alexei Botnarciuc (Commissionario)
Chor der Oper Zürich, Ernst Raffelsberger (préparation), Philharmonia Zürich, Marco Armiliato (direction musicale)
David Hermann (mise en scène), Christof Hetzer (décors et costumes), Franck Evin (lumières), Anna Henckel-Donnersmarck (vidéo), Beate Breidenbach (dramaturgie)
(© T+T Fotografie/Tanja Dorendorf)
Branle-bas de combat à l’Opernhaus de Zurich : à la veille de la générale d’une nouvelle production de La Traviata, l’interprète prévue pour le rôle-titre, qui a répété le spectacle durant plus de quatre semaines, tombe malade et annule sa participation. On peut imaginer les sueurs froides du directeur de la vénérable institution lyrique, qui réussit pourtant un « coup », en annonçant l’arrivée in extremis de Sonya Yoncheva, certainement la chanteuse la plus médiatisée du moment. La coïncidence est d’autant plus troublante que la même Sonya Yoncheva devait chanter ici Lucia à peu près au même moment, avant de déclarer forfait, estimant que le rôle ne convenait plus à ses possibilités vocales. Le doute s’insinue dans les esprits. Quoi qu’il en soit, la presse zurichoise est très élogieuse sur la prestation de la soprano bulgare lors de la première de cette Traviata. Las, l’interprète annule ses deux dernières représentations. Apparemment pour cause de maladie, mais on peut aussi imaginer qu’elle est rentrée chez elle pour préparer ses valises pour Londres, où l’attend une autre production du chef-d’œuvre de Verdi. On est curieux de savoir si celle qui est déjà surnommée « Madame annulations » assumera toutes les représentations prévues dans la capitale britannique.
En ce dimanche 3 mai, Sonya Yoncheva est remplacée par Ailyn Perez, engagée pour les dernières représentations de la série, et qui connaît donc la mise en scène. La déception du public est vite dissipée : la chanteuse est très bonne actrice, sa voix est ample et lumineuse, ce qui se révèle un atout pour les actes II et III, bien conduite sur toute la tessiture, les vocalises du premier acte sont enchaînées avec maestria et détermination, la soprano incarnant une Violetta stressée et angoissée, minée par le doute, toujours sur ses gardes, qui ne peut s’empêcher de jeter des regards désemparés autour d’elle, même lorsqu’elle est dans les bras d’Alfredo. Un portrait absolument convaincant, même si manquant un peu d’émotion. Avec son physique de post-adolescent, Pavol Breslik incarne, en Alfredo, un amoureux naïf et ingénu, puis un amant ardent et passionné avant d’atteindre des moments de grande intensité au dernier acte. Son chant fin et nuancé est à l’exact opposé de celui de Quinn Kelsey en Germont père, qui, malgré une diction et un « legato » superbes, ne s’embarrasse pas de trop de scrupules et chante constamment « forte ». Il faut dire que les chanteurs ne sont pas particulièrement aidés par le chef Marco Armiliato, lequel a tendance, lui aussi, à abuser du « fortissimo ». Dommage, car tout avait pourtant très bien débuté avec un Prélude subtil et sensible.
La mise en scène de David Hermann offre des perspectives intéressantes, signe que même les ouvrages les plus représentés peuvent encore nous surprendre. Partant du postulat qu’à sa création, La Traviata était une œuvre « moderne », le metteur en scène a transposé l’action à notre époque, dans une société « jet set » qui ne pense qu’à faire la fête. Toutes deux « escort girls », Violetta et Flora se retrouvent concurrentes. La première a été victime d’un burn out et essaie de retrouver sa place dans la société après une longue absence. Mais tous ne lui jettent que des regards froids et méprisants, et elle ne trouve la sérénité que dans les bras d’Alfredo et, plus paradoxalement, dans ceux du père de celui-ci, particulièrement compatissant mais opportuniste aussi, ne voulant pas que la réputation de Violetta puisse mettre en danger sa petite entreprise. Au dernier acte, Violetta finit ses jours dans un hospice, un chapelet à la main, victime d’hallucinations : le retour tant espéré d’Alfredo et de son père n’est que le fruit de son imagination, ce qui donne des semblants d’« air de la folie » à son « Addio del passato ». Une mise en scène intelligente et cohérente, à défaut d’être pleinement convaincante.
Claudio Poloni
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