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Quand la satire rencontre la tragédie

Antwerp
Opera Vlaanderen
04/29/2015 -  et 14, 16, 18, 19, 21 (Gent), 30 avril, 2, 3*, 5, 6 mai (Antwerpen) 2015
Fromental Halévy: La Juive
Asmik Grigorian/Gal James* (Rachel), Roberto Saccà/Jean-Pierre Furlan* (Eléazar), Dmitry Ulyanov (Le Cardinal de Brogni), Randall Bills/Robert McPherson* (Léopold), Nicole Chevalier/Elena Gorshunova* (La Princesse Eudoxie), Toby Girling (Ruggiero)
Koor Opera Vlaanderen, Jan Schweiger (chef du chœur), Symfonisch Orkest Opera Vlaanderen, Tomás Netopil*/Yannis Pouspourikas (direction)
Peter Konwitschny (mise en scène), Johannes Leiacker (décor, costumes), Manfred Voss (lumières)


(© Annemie Augustijns)


Des policiers en faction devant l’opéra se chargent de la sécurité durant la représentation de La Juive (1835). Principe de précaution ou coup de pub ? L’un et l’autre, probablement. La religion reste un sujet sensible et Anvers abrite, de surcroît, une importante communauté juive. Cependant, Peter Konwitschny ne verse pas de l’huile sur le feu, même si les Chrétiens ridiculisent les Juifs, forçant à un moment Eléazar à porter le costume de saint Nicolas et Rachel celui du Père Noël – quel rapport, en fait ? Malgré quelques incongruités et l’utilisation, une fois de plus, de sanitaires, en l’occurrence une baignoire, la mise en scène propose une interprétation moderne et pertinente du livret, en jouant la carte de la dérision et du détournement – l’empaquetage des explosifs à la chaîne, le repas qui évoque la Cène, le lit conjugal dans l’église. Elle recourt aussi à la symbolique des couleurs – mains bleues pour les Chrétiens, mains jaunes pour les Juifs – et dénonce, bien sûr, la violence de l’intégrisme, Rachel arborant une ceinture d’explosifs. Pas de bûcher ou de cuve sous le feu à la fin mais une mort sublimée, en tenue de mariage.


Rachel, Eléazar et les choristes chantent parfois dans l’allée et entre les sièges du parterre – effet de surprise garanti – mais à part l’occupation singulière de l’espace, la direction d’acteur ne change pas de l’ordinaire. La rosace et les vitraux constituent les seuls éléments à retenir du décor, qui comporte également ces sempiternels échafaudages en acier. Plus original et audacieux, le Don Carlos du même metteur en scène en 2010 restera plus longtemps gravé dans la mémoire. Au moins, Peter Konwitschny assume-t-il jusqu’au bout ce basculement incessant entre satire et tragédie.


Une double distribution se partage les représentations. Celle de ce dimanche se hisse à la hauteur de l’enjeu mais la prononciation reste imparfaite et le style tout juste convenable. Un plateau exclusivement francophone aurait conféré encore plus de noblesse à cette musique. La Rachel de Gal James manque de présence au début mais l’incarnation gagne heureusement en épaisseur par la suite. La soprano israélienne compense un timbre quelconque par un chant puissant, ferme, à la tessiture étendue. Jean-Pierre Furlan livre une composition approfondie et intense du personnage d’Eléazar. Pour un francophone, l’articulation manque de netteté mais le ténor soumet sa voix charpentée aux exigences d’un chant ardent et maîtrisé – quel beau legato dans son grand air, entonné parmi les spectateurs.


Dmitry Ulyanov campe un Cardinal de Brogni impeccable : la profondeur des graves n’occulte pas les autres vertus de cette voix de bronze, notamment l’excellence du phrasé et de la déclamation. Pour Léopold, revoici Robert McPherson, un habitué des lieux. A l’aise dans le répertoire de la première moitié du XIXe siècle, le ténor américain, à la voix pincée mais pas désagréable, atteint le haut du registre sans dommage mais il gagnerait à affermir la ligne. Le timbre coloré d’Elena Gorshunova dispense de vives séductions mais une voix plus chatoyante et latine aurait mieux convenu au rôle d’Eudoxie, dont les acrobaties vocales ne lui posent, du reste, aucune difficulté. Quant à Toby Girling, aux interventions retentissantes, il complète la distribution sans la déséquilibrer.


La direction de Tomás Netopil constitue un atout majeur : acérée, contrastée, éloquente, elle demeure toujours confortable pour les voix et maintient l’arc du drame tendu en permanence. Le chef met en valeur l’orchestration, les thèmes et le caractère théâtral de cet archétype du grand opéra de manière tellement convaincante que la suppression de l’Ouverture, en plus d’autres numéros, dont le Boléro d’Eudoxie, suscite bien des regrets. La sonorité de l’orchestre séduit en outre comme rarement, notamment les interventions des bois, fins et expressifs – voilà qui compense largement les furtifs décalages. Halévy n’épargne pas les choristes : unis, puissants, éloquents, ils se montrent parfaits en fanatiques.



Sébastien Foucart

 

 

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