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Musique française en famille Normandie Deauville (Salle Elie de Brignac) 04/23/2015 - André Caplet : Conte fantastique
Claude Debussy : Quatuor à cordes, opus 10
Maurice Ravel : Introduction et Allegro pour harpe, flûte, clarinette et quatuor à cordes en sol majeur
Ernest Chausson : Chanson perpétuelle, opus 37
Francis Poulenc : Sextuor pour piano, flûte, hautbois, clarinette, basson et cor Irina de Baghy (mezzo-soprano), Coline Jaget (harpe), Guillaume Bellom (piano) – Quatuor Girard: Hugues Girard, Agathe Girard (violon), Odon Girard (alto), Lucie Girard (violoncelle) – Ensemble Ouranos: Mathilde Caldérini (flûte), Philibert Perrine (hautbois), Amaury Viduvier (clarinette), Rafael Angster (basson), Nicolas Ramez (cor)
L’Ensemble Ouranos & G. Bellom (© S. Guy)
Le troisième concert du festival de Pâques de Deauville est exclusivement consacré à la musique française, à des pages que l’on pourrait même qualifier de très françaises par leur clarté, leur équilibre et leur légèreté apparente, et datant, à l’exception de la dernière, à peu près de la même époque, celle où décidément il faut s’éloigner du wagnérisme.
La première pièce est la plus célèbre d’André Caplet (1878-1925), un auteur que ni la vie ni la postérité n’ont vraiment gâté: le Conte fantastique pour harpe et quatuor à cordes (1908) d’après Edgar Poe. Sont à l’œuvre une remarquable jeune harpiste, Coline Jaget (née en 1992), première lauréate du concours Lily Laskine de 2014, alliant tempérament et musicalité, et un étonnant quatuor composé de quatre frères et sœurs, le Quatuor Girard. Les ensembles composés de membres d’une même fratrie sont assez rares. On a connu le Trio Pasquier (dissous en 1974) ; aujourd’hui, il y a le Quatuor Hagen qui a rassemblé quatre frères et sœurs un temps mais n’en regroupe plus que trois sur quatre. C’est donc assez exceptionnel, la pratique musicale en famille n’étant pas forcément facile, la musique pouvant être plus sûrement source de dissension que de communion. Ici, ce sont deux frères et deux sœurs qui, avec la harpiste, enlèvent le Conte fantastique avec une fermeté sans faille, laissant le mystère céder progressivement la place à l’inquiétant.
Le soin apporté à l’interprétation est confirmé dans une autre œuvre au tournant du dix-neuvième et du vingtième siècles: le Quatuor à cordes (1892) de Claude Debussy (1862-1918), encore franckiste dans son moule classique mais déjà novateur. Nos jeunes artistes l’interprètent sans arrière-pensée, avec fluidité et naturel, notamment dans les deux premiers mouvements. Le deuxième, scherzando, est par exemple bien vivant et rythmé. Les deux derniers sont un peu moins convaincants notamment du côté de l’alto. Mais les interprètes ne reculent pas devant l’obstacle et concluent par un final passionné. Indéniablement, un quatuor très prometteur.
Après Claude Debussy, il fallait bien Maurice Ravel (1875-1937). C’est l’occasion de revoir Coline Jaget, qui joue tout de mémoire, entourée du Quatuor Girard, de Mathilde Caldérini, à la flûte, et d’Amaury Viduvier, à la clarinette, de sorte que la harpiste tourne carrément le dos à la violoncelliste du quatuor, Lucie Girard. Il est vrai que, musicalement, tout tourne autour de la harpe, l’œuvre résultant d’une commande de la maison Erard pour lancer sa harpe chromatique. L’ensemble est virevoltant, presque orchestral – on songe par moments à Daphnis et Chloé –, et tout est impeccablement équilibré sinon passionnant.
Ernest Chausson (1855-1899), qui passa des vacances à Trouville et recevait fréquemment chez lui Claude Debussy, est représenté par sa dernière œuvre complète avant l’accident de bicyclette qui devait emporter son auteur, La Chanson perpétuelle pour voix, quatuor à cordes et piano (1898), inspirée par un poème de Charles Cros. On retrouve alors la belle voix d’Irina de Baghy, surtout dans les médiums et les graves, et son goût très sûr, l’interprétation des instrumentistes étant marquée peut-être par une prudence excessive dans cette œuvre au style complexe.
Le concert, enregistré par France Musique grâce à une forêt de micros, s’achève ensuite par le Sextuor (1940) de Francis Poulenc (1899-1963), les artistes précédents venant s’installer au milieu du public, dans l’esprit presque familial du festival. Après ceux qui s’opposèrent au pangermanisme musical, Debussy et Ravel, celui qui incarna le refus du diktat dodécaphoniste et post-sériel, l’auteur de la pétillante Baigneuse de Trouville. L’Ensemble Ouranos livre une lecture tout en finesse et équilibre, le final au geste ample étant émaillé d’embardées stravinskiennes et jazzy. Tous les interprètes sont excellents. On ne mentionnera que Nicolas Ramez au cor, le pupitre des cors n’ayant pas toujours été gâté à Deauville. Il n’écrase rien et son ton est constamment juste.
Au programme de cette soirée, il est vrai copieux, ne manquait finalement que le nom de Gabriel Fauré. On le retrouvera, accolé à celui de Claude Debussy, le jeudi 30 avril où on espère plus de monde que ce jeudi. Les terrasses comme les célèbres planches deauvillaises étaient bondées sous le soleil de printemps mais la salle Elie de Brignac une nouvelle fois anormalement boudée, notamment de la part des jeunes alors que leur billet d’entrée est gratuit. Désespérant: la scène est renouvelée chaque année, pas le public qui doit pourtant financer 30% des 300 000 euros de budget du festival.
Stéphane Guy
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