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Histoires de femmes Tours Grand Théâtre 04/10/2015 - et 12, 14 avril 2015 Francis Poulenc : La Voix humaine
Maurice Ravel : L’Heure espagnole Anne Sophie Duprels (Elle), Aude Extrémo (Concepcion), Florian Laconi (Gonzalvo), Antoine Normand (Torquemada), Alexandre Duhamel (Ramiro), Didier Henry (Don Inigo Gomez)
Orchestre symphonique Région Centre-Tours, Jean-Yves Ossonce (direction musicale)
Catherine Dune (mise en scène), Elsa Ejchenrand (décors), Elisabeth de Sauverzac (costumes), Marc Delamézière (lumières)
A.-S. Duprels (© François Berthon)
C’est par une minute de silence en hommage à Jean Germain, le précédent maire de Tours qui vient de mettre fin à ses jours, et dont le soutien à l’opéra et l’orchestre de sa ville a toujours été d’une constance sans faille, que s’ouvre la première représentation de la nouvelle coproduction réalisée, une fois par an, en association avec le Conseil général d’Indre-et-Loire. Celle-ci associe, de manière originale, La Voix humaine de Poulenc et L’Heure espagnole de Ravel, deux ouvrages à l’esthétique divergente, que l’on peut, à la suite de Catherine Dune, relier autour de la figure féminine qui en est le centre, Elle dans le premier et Concepcion dans le second, l’une et l’autre prisonnières de chaînes.
Les fils de la tragédie pour un seul personnage de Cocteau – dont le texte peut résonner singulièrement dans les circonstances du jour précitées – sont matérialisés par la scénographie, avec des cordes qui entourent le lit, intimité où s’est réfugiée, sinon recluse, la femme accrochée à son téléphone et son amour en fuite. La multiplicité qui matérialise cet ultime lien avec l’amant sur le point de la quitter s’élague au fur et à mesure du monologue, jusqu’au dénuement final, ménageant par cet artifice une temporalité dramatique d’une indéniable plasticité. Tout au long de ce qui constitue, tant au regard de l’endurance que des délicatesses de l’écriture vocale, une redoutable performance, Anne Sophie Duprels sait maintenir un subtil équilibre entre réserve et hystérie féminine, laissant émerger sans s’y appesantir les ambiguïtés de l’interlocutrice où affleurent les tourments autobiographiques de Cocteau, après sa rupture d’avec Radiguet. Au diapason d’une pièce qui dépasse la simple anecdote, l’imagination est invitée à en entendre les interprétations plurielles, jamais contrainte à s’arrêter à l’une d’entre elles.
A.-S. Duprels (© François Berthon)
Dans L’Heure espagnole, Catherine Dune et sa décoratrice Elsa Ejchenrand font éclore une belle fantaisie graphique et hispanisante où l’on peut retrouver dans les éléments en sustentation la grammaire symbolique d’un Miró, quand l’œil rappelle Picasso; des traces de Goya peuvent se lire çà et là – les allusions à la tauromachie par exemple, dont il n’a au demeurant nullement l’exclusive. Les horloges ont davantage l’allure de panneaux que de meubles premier degré, et l’on voit l’époux en coulisses, complice consentant des intermèdes sentimentaux hebdomadaires de sa femme. En Aude Extrémo, Concepcion s’incarne avec le musc et la couleur attendus. Lui répond le Ramiro gourmand d’Alexandre Duhamel, autre avatar de la nouvelle génération passée par l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris. Ce dernier se révèle aussi à l’aise dans le style que la tessiture du muletier, dont la non-conversation ne doit pas leurrer. Florian Laconi affirme un Gonzalvo d’un éclat impétueux, tandis que Didier Henry révèle l’involontaire vis comica de Don Inigo Gomez, séducteur un peu trop mature pour sa proie, sans oublier le Torquemada d’Antoine Normand, à l’irrésistible instinct théâtral.
Et l’on ne saurait se lasser de saluer le travail de Jean-Yves Ossonce à la tête de l’Orchestre symphonique Région Centre-Tours, dont l’excellence, qui se vérifie encore dans ces deux partitions au génie instrumental radicalement différent, ferait mentir les budgets – et leur répartition discutable. La tension du Poulenc ne se relâche jamais, et l’allure parfois compacte de l’orchestration n’effraie pas le chef français, lequel déploie avec une sensualité évidente les saveurs inimitables de L’Heure espagnole, véritable pièce de virtuosité en fin de compte relativement peu donnée, face à laquelle la phalange tourangelle se montre parfaitement à la hauteur. Cette saison, c’est sur les bords du Cher et de la Loire que l’on rend justice à Ravel.
Gilles Charlassier
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