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Balcon avec vue sur le cabaret Lille
Opéra
04/17/2015 -
Peter Eötvös: Le Balcon
Rodrigo Ferreira (Madame Irma, La Reine), Shigeko Hata (Carmen), Elise Chauvin (La Femme, La Voleuse, La Fille), Laura Holm (Chantal), Jean-Claude Sarragosse (Le Chef de la police), Damien Bigourdan (Roger), Florent Baffi (L’Evêque), Manuel Nunez-Camelino (Le Juge), Vincent Vantyghem (Le Général), Benjamin Locher (L’Envoyé de la Cour), Pierre Bessière (Le Bourreau, Arthur), Emmanuelle Grach (L’Esclave)
Le Balcon, Maxime Pascal (direction)
Damien Bigourdan (mise en scène), Mathieu Crescence (scénographie), Pascale Lavandier (costumes), Jérémie Gaston-Raoul (lumières), Florent Derex (projection sonore), Augustin Muller (électronique musicale)
Seulement une représentation à l’Opéra de Lille pour cette production du Balcon de Peter Eötvös (né en 1944), montée pour la première fois, en mai 2014, à l’Athénée - Théâtre Louis-Jouvet. Après Les Trois Sœurs d’Anton Tchékhov, le compositeur et chef hongrois a conçu un opéra sur une pièce de Jean Genet, créé en 2002 au festival d’Aix-en-Provence dans une mise en scène de Stanislas Nordey. Il s’agit plus exactement d’une pièce de théâtre musical à la Kurt Weill qui intègre d’autres genres comme le cabaret, le jazz et la chanson.
Hétéroclite ? Plutôt cohérent, paradoxalement, et, surtout, décapant grâce à un langage ancré dans la modernité, histoire de rappeler qu’Eötvös évolue depuis longtemps dans l’entourage de Pierre Boulez – il a été directeur musical de l’Ensemble intercontemporain de 1979 à 1991. Un orchestre d’une vingtaine de musiciens joue une musique percutante, sèche, aux jeux de timbres parfois étonnants, comme ceux produits par un violon à pavillon, et que vient compléter une sonorisation réaliste. Le bruit des mitraillettes et d’un hélicoptère témoigne de la révolte pendant que les clients s’abandonnent dans le bordel de Madame Irma. Particularité de cette maison: chacun joue un rôle le temps d’une passe, un évêque, un juge, un général. Amorale, décalée et déjantée, la pièce égratigne l’autorité sans relâche et confronte l’illusion et la réalité.
Collectif à géométrie variable fondé en novembre 2008, Le Balcon – cela ne s’invente pas – a conçu un spectacle inclassable et rythmé dans lequel il se déroule toujours quelque chose d’étonnant. Briser les codes et remettre en cause la tradition de l’opéra en constituent le principal mot d’ordre. Preuve qu’il s’agit d’un simulacre, d’un théâtre dans le théâtre, Madame Irma donne au chef, au début de la représentation, une cagoule en latex (ou, peut-être, en élasthanne), qu’il portera durant toute la soirée, les musiciens aussi, d’ailleurs, certains vapotant pendant qu’ils jouent. Sur le plateau, des danseurs portent également une combinaison noire fabriquée avec la même matière.
La mise en scène de Damien Bigourdan, qui interprète un des rôles, joue évidemment la carte du sarcasme et du non-sens mais ce spectacle ne s’égare pas et ne pratique pas la surenchère gratuitement, même lorsque le chef d’orchestre sort une arme à feu pour abattre Chantal – un épisode aussi drôle que soudain. Envahie de fumée dans la seconde partie, la scène comporte peu d’éléments, pour l’essentiel un échafaudage éclairé au néon en guise de balcon. Maxime Pascal, le chef encagoulé et assassin, dirige un orchestre acéré, rythmé et aux timbres sophistiqués.
Les acteurs-chanteurs s’investissent complètement dans leur personnage: il faudrait tous les citer, mais on retient, outre les interprètes de l’Evêque, du Juge et du Général, d’un grotesque achevé, la Madame Irma longiligne et troublante de Rodrigo Ferreira, à la présence souveraine et au timbre ambigu, la Carmen de Shigeko Hata, aux moyens vocaux considérables, le Chef de la police de Jean-Claude Sarragosse ou encore, distribuée dans pas moins de trois rôles, Elise Chauvin, au déhanchement et à la silhouette sexy. Ce spectacle singulier et chaleureusement applaudi témoigne de la diversité et de l’audace de la programmation de l’Opéra de Lille.
Le site de l’ensemble Le Balcon
Sébastien Foucart
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