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Médée allume le feu

Geneva
Grand Théâtre
04/09/2015 -  et 12, 15, 18, 21, 24 avril 2015
Luigi Cherubini : Medea
Alexandra Deshorties (Medea), Daniel Okulitch (Creonte), Grazia Doronzio (Glauce), Andrea Carè (Giasone), Sara Mingardo (Neris), Alexander Milev (Un capitaine de la garde royale), Johanna Rudström (La styliste), Magdalena Risberg (Son assistante)
Chœur du Grand Théâtre de Genève, Alan Woodbridge (préparation), Orchestre de la Suisse Romande, Marko Letonja (direction musicale)
Christof Loy (mise en scène), Herbert Murauer (décors et costumes), Reinhard Traub (lumières), Thomas Wilhelm (expression corporelle), Yvonne Gebauer (dramaturgie)


(© GTG/Wilfried Hösl)


C’est ce qui s’appelle avoir de la chance dans son malheur : une production qui semblait compromise devient un spectacle saisissant, comme le Grand Théâtre n’en avait plus présenté depuis longtemps. Jennifer Larmore, qui devait interpréter la Médée de Cherubini, a dû déclarer forfait dix jours avant la première pour cause de trachéite. Les titulaires du rôle se comptant sur les doigts d’une seule main, la direction de l’institution lyrique a eu énormément de flair en faisant appel à Alexandra Deshorties, une soprano canadienne qui a déjà incarné avec grand succès la magicienne au Festival de Glimmerglass en août 2011. En à peine plus d’une semaine, cette dernière a dû se réapproprier le rôle et trouver ses marques dans la production. Le soir de la première, rien pourtant ne trahissait, ni dans sa voix ni dans ses gestes, son arrivée à Genève au tout dernier moment ; chapeau ! Longue silhouette fine, Alexandra Deshorties a interprété - tout en sobriété - une femme fragile, en proie au tourment et au doute, une femme trompée et répudiée, plus victime du destin que carnassière sauvage et vengeresse sans remords, telle Maria Callas dans le célèbre film de Pier Paolo Pasolini, que le Grand Théâtre a eu la bonne idée de projeter la veille. Si la voix d’Alexandra Deshorties n’est peut-être pas des plus puissantes, elle a néanmoins magistralement réussi à donner corps à tous les sentiments exigés par le livret, du désespoir à la rage, en passant par l’indignation et la colère. Tragédienne consommée, elle a non seulement mis le feu à Corinthe après avoir tué son frère, trahi son peuple, empoisonné la nouvelle promise de son mari et égorgé ses enfants, mais aussi embrasé le Grand Théâtre tout entier. A n’en pas douter, son incarnation restera dans les annales de l’illustre maison.


Si, pour son film, Pasolini avait choisi de tourner Médée en extérieurs, le metteur en scène Christof Loy a opté, lui, pour un lieu fermé, huis clos synonyme d’étouffement et d’oppression. Dans sa Corinthe stylisée et intemporelle, les rapports entre les êtres humains sont figés et les règles strictement codifiées. Le spectacle se veut un véritable thriller psychologique. La mise en scène peut sembler très austère et statique, mais les rapports entre les personnages sont finement dessinés. Finement dessinée, telle est aussi la lecture du chef Marko Letonja à la tête d’un Orchestre de la Suisse Romande des grands soirs, qui excelle à rendre toute la richesse et la profondeur ainsi que les nuances de la superbe partition de Cherubini, avec des passages virtuoses d’une grande beauté, notamment pour le basson solo et la flûte. On en vient à se demander pourquoi l’ouvrage n’est pas plus souvent représenté. La Neris à la voix expressive et intense de Sara Mingardo, le Jason aux accents héroïques d’Andrea Carè, le Créonte noble et sensible de Daniel Okulitch et la Glauce douce et diaphane de Grazia Doronzio forment une distribution de haut vol, à laquelle vient s’ajouter un chœur exemplaire. Le Grand Théâtre de Genève livre avec Medea sa plus belle et saisissante production de la saison.



Claudio Poloni

 

 

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