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Géométries variables Baden-Baden Festspielhaus 03/31/2015 - et 3* avril 2015
(© Monika Rittershaus)
31 mars
Robert Wiene : Der Rosenkavalier, film muet (1926), musiques de Richard Strauss arrangées par Otto Singer et Carl Alwin
Majella Stockhausen (piano et clavecin), Heike Gneiting (harmonium et célesta), Membres de l’Orchestre philharmonique de Berlin, Raphael Haeger (direction)
Le Festival de Pâques de Baden-Baden diffère particulièrement de celui de Salzbourg, dont il est pourtant le successeur ou du moins l’héritier direct, par l’abondance de la programmation proposée. Les Berliner Philharmoniker demeurent les seuls protagonistes du festival mais les musiciens de l’orchestre ont carte blanche pour essaimer en une multitude de projets satellites, qui permettent de les écouter en petites formations dans tous les lieux possibles de la ville.
Pour le cru 2015, on a pu noter ainsi par exemple une Princesse de Trébizonde d’Offenbach donnée en version scénique par de jeunes chanteurs dans le cadre confidentiel et doré du théâtre de Baden-Baden, un Kleine Rosenkavalier, adaptation de l’ouvrage de Strauss pour un public d’enfants, de multiples concerts de musique de chambre aux passionnants programmes (Schreker, Mahler, Zemlinsky, Strauss, Korngold...) dont certains avec voix (un Pierrot lunaire de Schoenberg...). Une offre très riche sur laquelle il nous aura fallu malheureusement faire l’impasse faute de temps, en exceptant quand même la passionnante projection du film Le Chevalier à a rose de Robert Wiene (1925). Richard Strauss a consenti lui-même au tournage de ce film muet, en laissant à des arrangeurs l’essentiel de la tâche de réécrire une partition d’accompagnement d’environ deux heures. On y reconnaît évidemment la musique habituelle de l’opéra, mais très disséminée et fragmentée pour coller le mieux possible à l’image filmée. Une partition difficile à mettre en place, cela dit, surtout quand elle est réduite comme ici aux proportions d’un petit ensemble de treize musiciens (deux violons, violoncelle, contrebasse, flûte, hautbois, trompette, trombone, percussions, piano, célesta et harmonium). Une brillante équipe de Philharmoniker réunie sous la baguette de Raphael Jaeger s’y ébroue vaillamment, au risque parfois de perdre un peu la synchronisation avec l’image. Le film lui-même, adaptation qui s’écarte à certains moments beaucoup du Rosenkavalier original, constitue un extraordinaire document sur l’ambiance que le compositeur et son librettiste envisageaient pour leur opéra et à ce titre il faut absolument l’avoir vu. La dernière bobine a été malheureusement perdue et l’écran reste parfois noir sur la fin, quelques images d’archives glanées çà et là permettant de reconstituer au moins l’ossature de ces ultimes minutes. Vu la qualité particulière de ce document et bien sûr ici son contexte instrumental de très haut niveau, les quelques centaines de spectateurs réunies au parterre du Festspielhaus ont pu passer là deux heures exceptionnelles à tous points de vue.
3 avril
Georg Friedrich Haendel : Samson – Ode for the Birthday of Queen Anne – Royal Fireworks Music (extraits, adaptation pour cuivres par Martin Wageman)
Johann Sebastian Bach : Ich ruf’ zu dir, Herr Jesu Christ – Wachet auf, uns ruft die Stimme (adaptation pour cuivres par Enrique Crespo)
Giovanni Battista Pergolesi : Stabat Mater
Franz Schubert : Gesang der Geister über den Wassern, D. 714
Richard Strauss : Metamorphosen
Anna Prohaska (soprano), Isabelle Druet (alto)
Cuivres de l’Orchestre philharmonique de Berlin, Berliner Barocksolisten, Gottfried von der Goltz (direction), Voix masculines du Philharmonia Chor Wien, Berliner Philharmoniker, Sir Simon Rattle (direction)
Autre manifestation singulière, le concert à petits effectifs donné le soir du Vendredi Saint. Une programmation aux motivations spirituelles évidentes, mais au sens large, alignement d’œuvres qui n’ont pas forcément de connotation religieuse mais partagent toutes une grande élévation de propos. Le nombre de Philharmoniker présents est important, encore que l’on n’ait jamais affaire à l’orchestre entier. Première partie dévolue aux cuivres, arrangements virtuoses de musiques de Haendel puis de deux chorals de Bach, interprétés avec une maestria étourdissante, notamment par les trompettistes situés aux deux extrémités de ce demi-cercle rutilant, Gábor Tarkövi et Tamás Velenczei. Ensuite le relais est pris par les Berliner Barocksolisten, petit ensemble baroque dont l’essentiel de l’effectif de cordes est composé de musiciens de l’Orchestre philharmonique de Berlin, pour un Stabat Mater de Pergolèse interprété de façon relativement maniériste sous les impulsions de Gottfried von der Goltz au violon. Ces intonations doloristes mettent souvent en difficulté Anna Prohaska, timbre voilé voire émission fragilisée à force d’essayer de trouver des couleurs patinées et non vibrées qui techniquement ne lui conviennent pas, alors qu’Isabelle Druet paraît très à l’aise dans sa propre tessiture et sait trouver des climats plus naturels.
Après l’entracte Simon Rattle entre en scène pour le rare Gesang der Geister über den Wassern de Schubert, pour chœur d’hommes et cordes graves (altos, violoncelles, contrebasses). On s’attend d’abord à un déséquilibre entre une masse chorale relativement imposante et un effectif de cordes tout petit (deux altos, deux violoncelles, une contrebasse) en oubliant un peu vite de quelle puissance sont capables les cordes berlinoises (en particulier Peter Riegelbauer, contrebassiste extrêmement sonore). En fait les couleurs s’étagent bien, les choristes brillant quant à eux par leur modération et leur qualité de diction, sous la direction très enveloppante, sans baguette, de Simon Rattle. L’effectif de cordes augmente enfin à vingt-trois pupitres pour les Métamorphoses de Strauss, interprétées dans une disposition plutôt inhabituelle, en large demi-cercle sur deux rangées, avec les violons debout à gauche et les altos debout derrière les violoncelles à droite. Simon Rattle dispose d’un espace relativement important au milieu, pour aller à sa guise diriger davantage tel ou tel groupe de musiciens, ce dont il ne se prive pas, avec un perpétuel souci d’avancée qui donne même parfois à ces Métamorphoses, d’inspiration pourtant lugubre, une vivacité peu commune. Très belle entrée d’un célèbre thème beethovénien facilement reconnaissable à la fin, et durable silence recueilli avant les premiers applaudissements.
Laurent Barthel
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