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Le Cid ressuscité Paris Palais Garnier 03/27/2015 - et 30 mars, 2, 6, 9, 12, 15, 18, 21 avril 2015 Jules Massenet : Le Cid Sonia Ganassi (Chimène), Annick Massis (L’Infante), Roberto Alagna (Rodrigue), Paul Gay (Don Diègue), Nicolas Cavallier (Le Roi), Laurent Alvaro (Le Comte de Gormas) Francis Dudziak (Saint Jacques), Jean-Gabriel Saint-Martin (L’Envoyé maure), Luca Lombardo (Don Arias), Ugo Rabec (Don Alonzo)José Luis Basso (chef des chœurs), Michel Plasson (direction musicale)
Charles Roubaud (mise en scène), Emmanuelle Favre (décors), Katia Duflot (costumes), Vinicio Cheli (lumières)
(© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris)
Du Cid de Massenet, adaptation de la tragédie-comédie de Corneille et du roman de Guillén de Castro, la postérité n’a guère retenu que « Pleurez mes yeux » de Chimène et « O souverain, ô juge, ô père » de Rodrigue. Le concert new-yorkais enregistré par Eve Queler en 1976, avec Grace Bumbry et Plácido Domingo, n’avait pas suscité une avalanche de reprises, alors qu’elle révélait quelques pages superbes, comme le duo entre les deux héros avant le départ de Rodrigue pour le combat. Mais il faut bien le dire, même quand on aime beaucoup Massenet : dans l’ensemble, il n’est pas ici à l’apogée de son inspiration. Côté grand opéra, il a mieux réussi Le Roi de Lahore ou Esclarmonde. En France, bien que Saint-Etienne, le Châtelet ou Rouen aient pu le ressusciter, sur scène ou en concert, Le Cid avait disparu de l’affiche du Palais Garnier depuis 1919. Le voilà donc de retour chez lui, cent-trente ans après sa création, à travers une production de Charles Roubaud inaugurée à Marseille en 2011, un peu revue et corrigée aujourd’hui, avec de nouveau Roberto Alagna.
Si la voix du ténor garde son éclat solaire, la quinte aiguë a tendance à se raidir, en particulier dans les deux premiers actes, ou dans le fameux « Ô noble lame ». Malgré un « O souverain » superbement phrasé, ce Rodrigue à l’articulation exemplaire manque aussi de nuances. Parce qu’il exalte d’abord la vaillance d’un personnage créé par le wagnérien Jan Reszke ? Parce que l’émission a perdu sa souplesse d’antan ? Sonia Ganassi, elle, n’est pas le falcon ou un grand lyrique qu’appelle Chimène – ce qu’était sans doute devenue Mme Fidès-Devries au moment de la première. Les tensions du rôle, du coup, s’exacerbent, la poussent au cri et la mettent plus d’une fois au bord de la rupture. Mais justement, la ligne ne se rompt pas, elle assume, jusqu’au bout, non sans nuances d’ailleurs, la douleur, la colère et la passion de la fille de Don Gormas.
Annick Massis, elle, a heureusement fait rétablir l’air de l’Infante, pour ne pas jouer les utilités et confirmer qu’elle est une de nos meilleures sopranes, par la technique et le style. Penser que l’Opéra de Paris ne lui confie aucun des premiers rôles qu’elle chante partout dans le monde laisse pantois... L’école française est moins bien représentée par les clefs de fa, à l’exception du Don Gormas de belle tenue de Laurent Alvaro : la noblesse et la grandeur manquent à Don Diègue – Edward Reszke, à la création – chanté par un Paul Gay à court de grave, comme au Roi, incarné par un Nicolas Cavallier à la peine dans l’aigu. Rôles secondaires impeccables, notamment l’Envoyé maure de Jean-Gabriel Saint-Martin.
Reprochera-t-on à Michel Plasson, lui qui souvent préfère l’intimisme aux grands déploiements sonores, de jouer à fond la carte du grand opéra ? En aucun cas : c’est ainsi que Le Cid tient la route. La direction flamboie, empoigne l’œuvre avec une énergie et un enthousiasme sans faille, jusqu’aux morceaux les plus faibles. Et lorsque la musique s’affine et se colore, la baguette retrouve cette subtilité du geste, ces couleurs si caractéristiques du chef français – comme dans les introductions des troisième et quatrième actes. Dommage seulement qu’il n’ait pas rétabli les coupures d’usage : il n’est pas sûr, paradoxalement, que l’œuvre y gagne – on ne parle pas seulement du ballet, réduit ici à la Madrilène et à l’Aragonaise, jouées au troisième acte, devant le rideau baissé.
Reste la production de Charles Roubaud. La transposition au vingtième siècle, entre-deux-guerres puis années cinquante, donc sans doute dans l’Espagne franquiste, avec intérieur modern style pour l’appartement de Chimène et salle d’état-major pour le camp de Rodrigue, ne fait guère illusion. Que la guerre contre les Maures puisse rappeler ainsi celle du Rif n’induit aucune lecture politique. On ne demandait pas un concept façon Regietheater, on voulait seulement du théâtre, des personnages auxquels on croie. Mais le metteur en scène dirige ses chanteurs comme on le faisait il y a cinquante ans dans nos provinces, menant parfois Chimène au bord du ridicule, faisant de l’Infante une potiche au sourire niais. C’est du drame bourgeois, frisant parfois le vaudeville malgré lui. Vous avez dit Corneille ?
Didier van Moere
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