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Schreker en noir et en fait divers Lyon Opéra 03/13/2015 - et 17, 20*, 22, 26, 28 mars 2015 Franz Schreker : Die Gezeichneten Charles Workman (Alviano), Magdalena Anna Hofmann (Carlotta), Simon Neal (Tamare), Markus Marquardt (Duc Adorno, Le capitaine de justice), Michael Eder (Podestà Nardi), Aline Kostrewa (Martuccia), Jan Petryka (Pietro, Un jeune homme), Jeff Martin (Guidobald), Robert Wörle (Menaldo), Falko Hönisch (Michelotto), James Martin (Gonsalvo), Piotr Micinski (Julian), Stephen Owen (Paolo), Caroline MacPhie (jeune fille), Marie Cognard (Ginevra Scotti), Didier Roussel (Sénateur), Kwang Soun Kim (Sénateur, Serviteur), Paolo Stupenengo (Sénateur), Celia Roussel Barber (alto), Karine Motyka (Mère), Alain Sobieski (Père), Sharona Applebaum, Joanna Curelaru (Servantes), Hidefumi Narita (ténor solo)
Orchestre, Chœurs et Studio de l’Opéra de Lyon, Philip White (chef des chœurs), Alejo Pérez (direction musicale)
David Bösch (mise en scène), Barbara Horáková Joly (collaboration à la mise en scène), Falko Herold (décors et costumes), Michael Bauer (lumières)
(© Stofleth)
Rituel institué par Serge Dorny et désormais bien ancré dans la saison lyrique lyonnaise, le festival de printemps est placé cette année sous le signe des «Jardins mystérieux», fil rouge topographique au moins autant que thématique reliant l’île enchantée d’Alviano chez Schreker aux Enfers où descend Orphée pour retrouver Eurydice (voir ici) et Le Jardin englouti de Michel van der Aa. Mais l’événement est avant tout créé par l’ouverture, avec la première scénique française des Stigmatisés de Schreker, compositeur longtemps négligé, et qui retrouve depuis peu les faveurs des salles françaises, à l’instar du Son lointain donné à l’Opéra du Rhin en 2012.
Confiée à David Bösch, à qui Lyon avait déjà attribué la régie de Simon Boccanegra en juin dernier, la production du metteur en scène demeure fidèle à ses invariants scénographiques où le noir domine sans partage. D’un livret aux résonnances psychanalytiques assez évidentes, la présente lecture privilégie une certaine littéralité. Les jeunes filles disparues s’affichent, par la magie de la vidéo, sur des tracts de recherche, à l’image de Ginevra Scotti, reconstituant pour chacune jusqu’à la dernière trace connue des victimes de la lubricité des jeunes nobles génois. Un tel réalisme, aux confins du fait divers, se retrouve dans la condamnation d’Alviano, malmené par des sbires en cuir assoiffés de violence comme des hooligans, sans pour autant céder à une transposition cadastrale au premier degré, livrant la scénographie à une certaine abstraction, poétique sans excès, à l’instar des branchages luminescents qui s’agitent dans la nuit de l’Elysée insulaire. L’ensemble affirme une indéniable cohérence, à défaut de restituer la richesse de l’argument, peut-être trop littéraire pour se voir considérer contemporaine, en lui préférant une approche aux références plus cinématographiques, version hollywoodienne.
D’un plateau foisonnant de personnages, on retiendra avant tout l’Alviano grimé par Charles Workman jusqu’à la bosse, tandis que son visage peint en blanc et rouge signale son infortune comme ses divisions psychiques. Sans grâce importune, le ténor américain restitue la souffrance et les émois d’une manière crédible, et fait preuve d’une endurance évidente. Si la voix flirte parfois davantage avec les raideurs qu’avec l’opulence, Magdalena Anna Hofmann, Senta dans Le Vaisseau fantôme en ouverture de saison, assure la partie exigeante de Carlotta, avec sans doute plus de présence que d’aura. Celle qu’en Tamare affiche Simon Neal – le Hollandais d’octobre – doit faire l’économie de la rondeur, avec un timbre circonscrit dans une nasalité qui n’obère cependant nullement la puissance. Michael Eder possède l’aplomb qui sied au Podestà Nardi, quand Markus Marquardt ne dépare point en Adorno et Capitaine de justice. Relevons les incarnations d’Aline Kostrewa et Jan Petryka, membres du Studio de l’Opéra de Lyon – l’une Martuccia, et le second, Pietro et un jeune homme. Certains noms ne sont pas inconnus des lyonnais, tels Robert Wörle, Menaldo, qui avait marqué Le Nain d’il y a deux ans, ou encore Flako Hönisch, Michelotto. Guidobald revient à Jeff Martin, et Gonsalvo à James Martin. Piot Micinski apparaît en Julian, tandis que Stephen Owen endosse le vêtement de Paolo et Caroline MacPhie celui de la jeune fille.
Le chœur complète la galerie, et confirme son excellence, préparé par Philip White. A la tête de la phalange maison, Alejo Pérez fait ressortir les sortilèges d’une partition chatoyante, équilibrant l’impact sonore et la construction dramatique, dans le respect d’un syncrétisme esthétique certain.
Gilles Charlassier
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