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Hommage à (courte) distance

Baden-Baden
Theater & Festspielhaus
01/19/2015 -  


P. Boulez (© J. Demarthon)


Très imposant hommage que cette journée entière de concerts dédiée par le festival et la ville de Baden-Baden à Pierre Boulez. Le chef d’orchestre et compositeur français a élu domicile ici depuis fort longtemps déjà, à quelques centaines de mètres du Festspielhaus, dans une villa qu’il ne quitte malheureusement plus guère ces derniers mois. Même pour cette journée très officielle, où il est prévu de lui décerner le titre de citoyen d’honneur de la ville de Baden-Baden, Pierre Boulez ne peut se déplacer physiquement, du fait d’un état de santé trop précaire. Une série de caméras et de micros retransmettront donc en direct ces concerts jusque chez lui, donnant au public présent dans la salle l’impression d’un semblant de proximité avec cet artiste dont on célèbre aujourd’hui les bientôt 90 ans. L'anniversaire est proclamé avec un peu d’avance pour des raisons pratiques, la date réelle, le 27 mars, coïncidant avec le Festival de Pâques 2015 où il est prévu que Simon Rattle et l’Orchestre philharmonique de Berlin investissent tous les lieux disponibles dans la ville, à l’exclusion de toute autre manifestation.


Le menu de la journée est copieux, réparti sur trois concerts successifs. Et, fait remarquable, cette programmation est entièrement assumée par l’Orchestre du SWR de Baden-Baden et Freiburg et son chef François-Xavier Roth. Qu’ils soient surexposés en diverses petites formations de chambre où tous rassemblés dans l’effectif géant des Notations, les musiciens de cette phalange d’élite auront tout minutieusement préparé et travaillé, colossal labeur de mise au point que l’on imagine mal effectué par un quelconque autre orchestre au monde. C’est d’ailleurs ce que souligne François-Xavier Roth en fin de journée, au cours d’une brève intervention parlée accueillie par un tonnerre d’applaudissements, ovation longuement entretenue par un public qui sait très bien que cet orchestre est malheureusement voué à la désagrégation dans moins de deux ans...


L’hommage a en fait déjà commencé quelque jours plus tôt, à Freiburg, avec une exécution de Répons, chantier déjà géant à lui seul. Dans le cadre intime du théâtre de Baden-Baden, sous des profusions de dorures de style Second Empire, il se poursuit le dimanche matin à 11 heures par une exécution de Messagesquisse, par Jean-Guihen Queyras et les violoncellistes de l’Orchestre du SWR, puis de Domaines, avec le clarinettiste Alain Billard.


Pierre Boulez : Anthèmes 2 – Le Marteau sans maître
Donatienne Michel-Dansac (alto), Hae-Sun Kang (violon), Caroline Delume (guitare)
Membres de l’Orchestre du SWR de Baden-Baden et Freiburg, François-Xavier Roth (direction)


A 15 heures, nous nous embarquons pour la suite de la manifestation, toujours pour de la musique de chambre et toujours au théâtre de Baden-Baden, cadre parfait pour ce type de musique de grande proximité visuelle et auditive avec les interprètes voire avec l’arsenal technique et informatique incontournable dès que l’on joue des musiques de la maturité boulézienne. En l’occurrence c’est une autre structure locale qui apporte son concours : le Studio expérimental du SWR, dont les ingénieurs s’affairent devant leur habituel amoncellement de consoles et d’ordinateurs au milieu du parterre. C’est d’abord à la violoniste d’origine coréenne Hae-Sun Kang, infatigable créatrice de musiques de son temps (Chin, Dusapin, Fedele, Furrer, Manoury...) qu’échoit d’affronter Anthèmes 2 (1997), épreuve violonistique d’une douzaine de minutes où de complexes traits de l’instrument déclenchent événements électroniques et autres phénomènes d’écho en cascades. On admire la sûreté de l’archet, les capacités de mémorisation (aucune partition) et aussi l’accomplissement technique d’une équipe qui parvient à relativement préserver l’ensemble d’une impression d’artifice qui pourrait vite s’installer. Autre époque ensuite avec une exécution brillante du Marteau sans maître où François-Xavier Roth dirige un tout petit effectif (voix, flûte, guitare, alto et trois percussionnistes). Grammaire sérielle, écriture de blocs hyper-complexes et pourtant avec le recul du temps une impression de poésie surannée, dont le fouillis apparent se globalise sous une certaine patine. On n’est pas sûr qu’une telle œuvre vieillisse totalement à son avantage, et surtout pas quand la voix chantée s’installe (Donatienne Michel-Dansac, au demeurant fort sûre d’intonation), résurgences soudaines d’années médianes du siècle dernier plutôt datées. Mais le voyage dans cette pâte sonore micronisée dont chaque particule semble singulière garde un véritable intérêt, surtout dans une interprétation d’apparence aussi scrupuleuse et logique. A la fin de l’exécution, François-Xavier Roth prend la parole pour rappeler que ce Marteau sans maître a été créé tout près d’ici en 1955, dans une autre salle à Baden-Baden, et qu’un des percussionnistes qui a pris part à cette première exécution est présent dans la salle aujourd’hui. Un monsieur âgé et digne, assis au parterre, se lève alors brièvement, chaleureusement applaudi.


Au milieu du concert, la journaliste Anja Höfer, très présente tout au long de cette journée, pour présenter chaque œuvre en des termes les plus accessibles possibles, anime une courte table ronde à laquelle participent Marion Thiem, collaboratrice de longue date de Pierre Boulez, le pianiste Pierre-Laurent Aimard et le compositeur Wolfgang Rihm (ce dernier pas vraiment un pilier de la galaxie boulézienne, voire dans le domaine de la musique contemporaine plutôt un trublion !). Propos divers sur l’originalité de cette musique mais aussi aujourd’hui son intégration progressive dans un répertoire chambriste à forte connotation française voire post-debussyste. Au-delà des affirmations de ces invités manifestement bien intentionnés, est-ce vraiment le cas dans les faits ? La discussion reste ouverte, et c’est heureux ainsi.


Pierre Boulez : ...explosante-fixe... – Sonate pour piano n° 1 – Dérive 1 – Notations pour piano (extraits) – Notations pour orchestre
Sophie Cherrier (flûte), Pierre-Laurent Aimard et Tamara Stefanovich (piano), Enfants de l’Ecole élémentaire de Balg, SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg, François-Xavier Roth (direction)


Soirée de clôture dans le cadre plus habituel du Festspielhaus, avec à l’affiche un programme particulièrement riche, nécessitant de multiples changements de plateau. L’entrée en matière est consistante: ...explosante-fixe... pour flûte MIDI, deux flûtes et orchestre spatialisé. A l’origine une œuvre courte mais qui par le jeu de très nombreuses remises sur le métier et concrétions successives (processus typiquement boulézien) a fini par atteindre un format imposant, de près de 40 minutes. La flûte principale, tenue par Sophie Cherrier, se situe au centre d’une sorte de large toile d’araignée sonore où toutes les les propagations et diffusions sont déclenchées par l’instrument soliste. Matériau souple mais dont les départs en ondes successives, effets parfois similaires aux grands climax de Répons finissent par s’homogénéiser en un continuum un peu lassant. A force d’ajouts cette œuvre n’aurait-elle pas pris un rien d’embonpoint superflu ?


Rien de trop en revanche dans la Première Sonate pour piano impeccablement défendue par Pierre-Laurent Aimard, œuvre de jeunesse (1946) aux allures de toccata hypervirtuose, essai précoce mais concluant d’assimilation des techniques de composition de la seconde école de Vienne. Rappelons que la Sonate de Dutilleux a été créée deux ans plus tard seulement : deux œuvres d’un format similaire mais d’une immense divergence de vocabulaire. Dérive 1 nous ramène ensuite à la période plus récente de la gestation de Repons : œuvre relativement brève, presque une étude de sonorités et de résonances pour six instruments, défendue par les premiers pupitres de l’orchestre qui n’y trouvent peut-être pas assez de substance pour marquer durablement la mémoire.


Parenthèse très intéressante ensuite : la version originale de huit des Notations, recueil de douze pièces pianistiques de jeunesse (1945), interprétées par Tamara Stefanovich et dansées par les enfants d’une école élémentaire voisine. Un projet qui a beaucoup occupé ces jeunes élèves (huit ans environ), sous la supervision de la chorégraphe Yasha Wang et de Richard McNicol, grand spécialiste de la pédagogie musicale. Cette passionnante aventure d’éveil à une musique réputée d’abord difficile se termine en toute décontraction sur le plateau du Festspielhaus, par une exécution sans défaut du résultat final de ce beau travail d’assimilation et d’invention.



(© manolo press)


On retrouve après l’entracte ces mêmes Notations, mais tardivement orchestrées (ou plutôt totalement réinvesties et métamorphosées) par Pierre Boulez, commandées par Daniel Barenboim, pour les orchestre de Paris puis Chicago. Dans leur état actuel, il s’agit de cinq pièces pour orchestre dont l’assemblage fait beaucoup d’effet, voire peut séduire son public par l’impression diffuse de confort vaguement tonal qu’elles dégagent. Boulez joue ici avec un rien d’ambiguïté le jeu du «retour à», en utilisant l’alibi un peu facile d’une inexpérience de jeunesse, pour ces pièces confiées à un effectif géant d’orchestre post-romantique (trois harpes, une impressionnant alignement de cuivres...). La Notation II, danse sacrale digne d’un Jolivet voire d’un Stravinsky, d'ailleurs bissée, conclut cette journée sur une note agréablement consensuelle, sans doute un peu trompeuse aussi. Exécution là encore brillante, par un Orchestre du SWR de Baden-Baden et Freiburg qui a dû rameuter un bataillon de pupitres supplémentaires pour l’occasion. Un telle phalange d’excellence condamnée désormais sans appel à la dissolution ? On ne parvient toujours pas à y croire...


Le concert en intégralité sur Arte Concert:






Laurent Barthel

 

 

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