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Schumann Light

Toulouse
Halle aux Grains
02/26/2001 -  
Robert Schumann : Ouverture de Genoveva, Concerto pour violon, Symphonie N°3 “Rhénane”
Orchestre des Champs-Elysées, Daniel Harding (direction), Christian Tetzlaff (violon)

Il semble bien que l’interprétation “authentique” de la musique romantique sur instruments “d’époque”, dernier avatar du renouveau baroque, n’ait été qu’une mode fugace qui ne semble finalement pas avoir bouleversé profondément les habitudes d’écoute des auditeurs moyens, et même les habitudes de jeu de la plupart des musiciens. Pourtant, il est certain que la tradition d’interprétation post-romantique de cette musique, et la standardisation du son des orchestres, ont tendu à considérablement l’alourdir et, ce faisant, à en modifier la perception.
Aussi, est-il particulièrement intéressant de voir un jeune chef aussi prometteur que Daniel Harding se pencher sur la question avec la complicité de l’orchestre des Champs-Elysées, orchestre “à l’ancienne”, constitué d’interprètes reconnus de la musique ancienne essayant de retrouver de façon plausible le son supposé des orchestres de la période romantique.

Cependant, à l’audition de ce concert, il paraît évident que quelques doutes subsistent sur la légitimité des moyens employés.

On sait qu’une des plus importantes querelles opposant les “anciens” aux “modernes” porte sur l’emploi du vibrato aux cordes. Les orchestres classiques et romantiques, et ce jusqu’au début du XX° siècle, n’employaient le vibrato qu’avec économie. On peut d’ailleurs trouver d’anciens enregistrement, tels la 5° symphonie de Beethoven par Nikisch en 1913, qui permettent de se faire une idée du jeu d’orchestre en vogue au XIX° siècle où les cordes ont un jeu très peu vibré, presque “blanc”. Mais, l’usage du vibrato, en se répandant, a abouti aujourd’hui à un style “traditionnel” où chaque note est considérée comme devant être vibrée.
Que les cordes d'un orchestre reviennent à un usage modéré du vibrato est donc bel est bon… à condition d'utiliser le même! En effet, les violonistes, certainement très compétents, de l’orchestre des Champs-Elysées utilisent tous différents types de vibratos et ne vibrent pas tous les mêmes notes, ne se mettant d’accord que sur certaines tenues “blanches”, c’est à dire non vibrées, alors même que l’on sait que, déjà à l’époque de Mozart, ces tenues étaient vibrées pour justement éviter cette sonorité plate. Le résultat est une certaine hétérogénéité d’intonation et de curieux “trous” dans la sonorité, auxquels nous sommes habitués dans la musique baroques mais qui n’ont en fait pas de légitimité dans ce répertoire, d’autant qu’il ne s’agit ici que d’effets ponctuels visant à “faire authentique”. De même, les coups d’archets utilisés ne paraissent pas toujours très bien réglés, un certain laxisme régnant dans les rangs, notamment quant à la vitesse d’archet.
Le violon de Christian Tetzlaff, qui utilise, lui, un jeu traditionnel vibré sur toutes les notes, ne se marie d’ailleurs pas idéalement avec l’orchestre et le Concerto a été grevé de quelques frictions de justesse assez crissantes.

Une autre question, elle aussi importante, est la composition des effectifs et l’équilibre entre cordes et bois. En effet, pour répondre à l’accroissement de la taille des salles de concerts, le nombre de cordes dans l’orchestre symphonique n’a cessé d’augmenter au cours des temps, ce qui a obligé à doubler les parties de bois, de façon à les garder audibles même dans les tutti. Cette pratique est en fait ancienne puisque, dès 1791, Galeazzi préconisait de doubler les vents si l’orchestre utilisait plus de 16 violons. Or l’effectif utilisé ici -47 cordes, 4 cors et 3 trombones mais bois seulement par deux- n’apparaît pas très équilibré, les bois, mélange d’instruments anciens et modernes, devenant inaudibles à la moindre note des violons, et les cors, passablement rustiques, dominant tous l’arrière de l’orchestre.

Dernier point d’importance, l’interprétation baroque nous a habitués à l’utilisation de petites timbales frappées avec des baguettes dures, pour un son sec évoquant peu ou prou celui d’un bidon d’huile. C’est ce modèle qui est utilisé ici, alors que les première timbales à pédales, le modèle moderne, firent leur apparition aux alentours de 1850, année même de la composition de la Rhénane. D’autre part, Berlioz insistait déjà en 1845 sur la nécessité d’utiliser des baguettes douces dans l’orchestre. Ici, chaque roulement se transforme en solo, les timbales étant situées de plus en avant des bois, juste derrière les cordes.

En clair, ce genre de formation instrumentale apparaît plus formée en réaction au son habituel des orchestres symphoniques “traditionnels” et comme une extension, certainement abusive, des normes d’interprétation baroques à une musique plus récente, que comme une véritable tentative de re-création d’un son d’orchestre “d’époque”. Il n’est pas certain que ce son soit, en lui-même, plus authentiquement schumannien que celui de formations germaniques ayant gardé une certaine identité sonore à travers le XX° siècle, comme le Staatskapelle de Dresde. De plus, même sur ce créneau particulier, des ensembles comme l’Orchestre révolutionnaire et romantique, sur des bases historiques nettement plus fiables, ou The Orchestra of The Age of Enlightenment, présentent un tout autre niveau de virtuosité collective.

Maintenant, qu’en était-il du résultat musical?

Le jeune Daniel Harding, célébré dans la presse pour un premier disque consacré aux Ouvertures de Beethoven, est, sans conteste, une très forte personnalité musicale et un excellent chef d’orchestre. Tempos vifs, phrasés clairs utilisant au mieux les capacités de l’orchestre, il donne de la symphonie Rhénane une image juvénile, par instant quasi schubertienne. On peut apprécier ce traitement allégé, d’autant qu’il est conduit avec beaucoup de finesse et un punch décoiffant, mais on peut aussi le trouver réducteur, sans beaucoup de poésie dans les mouvements lents et sans majesté dans le Feierlich. Certes, ce rythme jaillissant, cet élan continu, sont irrésistibles mais, aussi séduisante que soit cette approche, elle n’en paraît pas moins par instant vide de sens musical. En cultivant un peu trop le son pour le son, Daniel Harding réduit les œuvres de Schumann à de simples objets sonores, alors qu’elles se veulent avant tout des évocations poétiques d’un grand poids humain. Les excellentes qualités musicales de Daniel Harding trouveraient en fait mieux à s’employer s’il oubliait les tics à la mode et fondait les avancées indéniables de l’interprétation “à l’ancienne” dans une véritable vision musicale. Mais, avec un orchestre d’un autre niveau -pourquoi pas, d’ailleurs, la Staatskapelle?- le résultat serait sans doute exceptionnel.

En dehors des indiscutables qualités de Daniel Harding, on peut voir dans cette vision purement motorique et rythmique, aux sonorités affinées, un pur produit de ce début de XXI° siècle. Poussé à l’extrême, cette recherche d’une authenticité plus ou moins fantasmée, mariée au goût pour l’allégé et à la vacuité du sens, conduit à des versions avec même de vrais morceaux de musique dedans, mais rien qui vienne déranger la digestion du spectateur, l’émouvoir ou lui procurer des sensations trop fortes. En fait, le contraire absolu de l’essence de la musique romantique!
Il serait dommage qu’un jeune interprète aussi doué succombe à ces sirènes commerciales, mais ce concert montre en lui une personnalité d’une telle valeur que cette inquiétude est sans aucun doute infondée.



Laurent Marty

 

 

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