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Musicalement correct

Paris
Opéra Comique
02/22/2015 -  et 24, 26, 27 février 2015
Philippe Boesmans : Au monde (création française)
Frode Olsen (Le père), Werner Van Mechelen (Le fils aîné), Philippe Sly (Ori), Charlotte Hellekant (La fille aînée), Patricia Petibon (La seconde fille), Fflur Wyn (La plus jeune fille), Yann Beuron (Le mari de la fille aînée), Ruth Olaizola (La femme étrangère)
Orchestre philharmonique de Radio France, Patrick Davin (direction musicale)
Joël Pommerat (mise en scène), Eric Soyer (décors et lumières), Isabelle Deffin (costumes), Christian Longchamp (dramaturgie)


(© D.R. Elisabeth Carecchio)


Non-dit, allusion et suggestion : comme le Maeterlinck de Pelléas et le Tchekhov des Trois Sœurs, dont il se réclame, Joël Pommerat nous laisse libres d’imaginer les arrière-plans de Au monde. Le fils que l’industriel patriarche a choisi pour successeur a-t-il des relations incestueuses avec sa sœur aînée – enceinte de qui, au juste ? Est-ce lui, le tueur de femmes en série ? Pourquoi est-il atteint de cécité – tout un symbole, évidemment ? Entre Mélisande et le héros de Théorème, l’étrangère que le mari de l’aînée a embauchée oblige tout le monde à se révéler plus ou moins. Etrangère et étrange, à vrai dire, qui parle un sabir venu d’on ne sait où. Arrêtons là : chaque être, chacune des trois sœurs surtout, a sa part de mystère, d’ambiguïté, de contradiction, d’espoir déçu.


De sa pièce de 2004, Joël Pommerat a tiré le livret d’un opéra pour Philippe Boesmans, créé il y a onze mois à la Monnaie de Bruxelles, comme la plupart de ses œuvres. Il manque de rythme et laisse une fâcheuse impression de déjà-vu : il recycle le huis clos étouffant de Tchekhov, même si la sœur aînée, par exemple, devient une animatrice vedette de la télévision – où elle produit des émissions idiotes. Mais sa mise en scène est réussie : décor unique, noir, avec de grandes barres de néon qui cassent l’obscurité et suggèrent la présence ou l’irruption violente du monde extérieur. La direction d’acteurs épouse les pointillés du texte, ses « choses voilées », d’une sobriété et d’une finesse très élaborées, à l’unisson de la légèreté pesante des mots.


A l’instar de son partenaire, Philippe Boesmans recycle : la tonalité, l’impressionnisme français, le récitatif mélodique, les numéros de l’opéra... A-t-il été victime du livret, qui a essoufflé son inspiration faute de situations plus tendues, plus proprement théâtrales ? On a du mal à reconnaître le compositeur de La Ronde, du Conte d’hiver, de Julie... autant de livrets de Luc Bondy d’après des textes d’une autre trempe que Au monde... Si les réminiscences et les références, d’autre part, ont toujours irrigué son langage, elles n’en n’ont jamais affecté l’originalité, bien au contraire. Même la rupture des registres ne fonctionne pas si bien : le My Way de Sinatra, chanté avec une voix d’homme par la Femme étrangère, ne s’intègre pas aussi heureusement à l’ensemble que la musique rock au troisième acte du Conte d’hiver. Il y a ici plus de savoir-faire, de métier, que d’invention. Un métier très sûr au demeurant, magistral même, avec d’évidentes subtilités d’écriture ; il n’empêche : ce Au monde succombe malgré lui au musicalement correct et nous ennuie.


Les interprètes, pourtant, donnent le meilleur d’eux-mêmes, sous la direction affûtée et enthousiaste de Patrick Davin, nonobstant une tendance à couvrir les voix ici ou là. Personnage principal, Patricia Petibon réalise une de ces performances dont elle a le secret, seconde fille en proie au mal-être malgré la célébrité, handicapée seulement par les stridences de la voix – dans lesquelles on pourrait, après tout, voir l’expression de ses blessures et de ses frustrations. Charlotte Hellekant et, surtout, Fflur Wyn complètent parfaitement le trio des sœurs. Les hommes ont moins à faire, à part Ori, l’excellent Philippe Sly, timbre franc et chant sûr : ils donnent l’exacte mesure de leur personnage, avec un Frode Olsen à la vocalité grisonnante pour le père, le gendre affairé tiré à quatre épingles de Yann Beuron. La comédienne Ruth Olaizola, elle, était déjà la Femme étrangère en 2004.


Quoi qu’il en soit, en programmant la première française de Au monde, l’Opéra Comique reste fidèle à sa tradition séculaire : c’est aussi un théâtre de création, donc d’aventure, avec ses risques et ses aléas.



Didier van Moere

 

 

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