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Sur les ailes du chant Strasbourg Opéra national du Rhin 11/04/2014 - Lieder et Mélodies de Franz Schubert, Robert Schumann, César Franck, Raymond Micha, Francis Poulenc, Erik Satie et Emmanuel Chabrier Sophie Karthäuser (soprano), Eugene Asti (piano)
S. Karthäuser (© Josep Molina)
C’est toujours avec des attentes particulières que l’on va écouter Sophie Karthäuser, assurément l’une des plus jolies voix du moment. Lors de ce récital sur la scène de l’Opéra national du Rhin, on retombe immédiatement sous le charme. Et ceci dès les toutes premières mesures d’un programme a priori difficile, qui commence avec des Goethe-Lieder de Schubert qui ne sont parmi les plus immédiatement accessibles et surtout enchaîne ensuite l’intégralité du Liederkreis Opus 39 de Schumann, univers très riche mais particulier des poésies d’Eichendorff, évocations variées de créatures fantastiques et de paysages romantiques à la Caspar Friedrich.
Tant de savoir faire dans l’exploration minutieuse de la musicalité des textes allemands, science du dire associée à un travail raffiné sur les respirations et les fragilités même de l’émission (la voix n’est pas très grande voire peut assez vite détimbrer légèrement quand la stabilisation de l’aigu requiert quelques réserves de souffle), voilà qui nous ramène à un âge d’or du lied dont on ne se souvient pas avoir écouté récemment d'autres réminiscences aussi évidentes. Si ce n’est - et c’est André Tubeuf, à côté duquel on se trouve fortuitement assis lors de ce récital, qui nous le rappelle opportunément - dans un certain Spanisches Liederbuch de Wolf entendu ici-même il y a quelques années... par une alors toute jeune Sophie Karthäuser, déjà !
Inutile de détailler davantage de tels trésors de tact, de musicalité affleurante, d’intelligence sans apprêt : on touche ici à l’évidence, au souffle même d’un romantisme à la fois d’échelle humaine et d’une démesure soudainement allusive quand surviennent de troubles zones d’égarement (Loreley, Mondnacht, Zwielicht...). A écouter certains commentaires à l’entracte, on s’interroge sur les motivations de ceux qui dans le public ont trouvé tout cela un peu timide, ou simplement joli, et rien d’autre. A quoi peut donc servir l’ambiance feutrée d’un récital de chant, gentiment compassée voire un rien naphtalinée pour nos perceptions d’aujourd’hui, si ce n’est de temps en temps à favoriser l’éclosion fragile de ce genre de miracle de sensibilité ?
On ira jusqu’à regretter qu’aucun micro n’ait pu capter ce moment. Car ce n’est pas forcément sur le studio d’enregistrement qu’il faut compter plus tard pour retrouver ce genre de réussite de l’instant. On n’en veut pour preuve que le récital Poulenc de Sophie Karthaüser publié récemment chez Harmonia Mundi, regrettable ratage technique qui annihile la présence de la chanteuse en la noyant dans le sirop d’un piano surdimensionné. Ce soir, heureusement, l’acoustique naturelle du concert rétablit l’équilibre et le tandem Karthäuser/Asti nous offre La Courte Paille de Poulenc poétique et un peu folle dont on le savait capables mais dont le disque nous a frustré. Dans Satie (La Statue de bronze, Daphénéo, Le Chapelier), Sophie Karthäuser ose même une gouaille et une impertinence plus franches encore, et qui lui vont bien. Seconde partie originale voire innovante, incluant deux courtes Mélodies de Raymond Micha (A mi-voix, et L’eau qui pleure). Qui est-ce ? Un compatriote belge de la chanteuse, disparu en 2006 à l’âge respectable de 96 ans : d’après ces deux pièces d’une clarté d’écriture agréable, un musicien estimable.
En bis : Fancy, seule mélodie de Poulenc en anglais, d’après Shakespeare. Sophie Karthäuser s’y engage avec toute sa fraîcheur et sa franchise, sans toutefois faire oublier la classe extraordinaire d’une Felicity Lott, reine incontestée de ce répertoire.
Laurent Barthel
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