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Passé, présent et avenir

Paris
Salle Olivier-Messiaen
02/16/2001 -  
Iannis Xenakis : Nuits
Frédérick Martin : Symphonie n° 3 (création)
Yves Prin : In praise of flight (nouvelle version, création)
Fabien Téhéricsen : Jaune (création)


Ueli Wiget (piano), Markus Stockhausen (trompette)
Chœur de Radio France, Orchestre philharmonique de Radio France, Dominique My (Xenakis, Martin, Prin) et Fabien Téhéricsen (direction)

Après un nouvel hommage rendu à Xenakis, au travers de ses indispensables et saisissantes Nuits, les trois créations proposées dans le cadre de ce concert de Présences 2001, une fois de plus devant une salle comble, étaient regroupées sous l’intitulé trompeur "symphoniquement vôtre". Car le "fil rouge" était bien davantage l’intégration d’éléments extérieurement empruntés au jazz (instruments, techniques de jeu, tournures musicales), la succession de ces trois partitions offrant autant de réponses, plus ou moins convaincantes, à ce défi: la première tournée vers le passé, la deuxième tentant une synthèse actuelle, la troisième ouvrant des perspectives sur l’avenir.


Empruntant son titre à un ouvrage d’Henri Laborit, In praise of flight (Eloge de la fuite) est un concerto pour piano en cinq parties enchaînées, d’une durée de 20 minutes, dont une première version avait été créée par Louise Bessette en 1998. Yves Prin fait alterner, dans une construction en arche, trois mouvements très animés, où passent les ombres de Bartok, Prokofiev ou Jolivet, avec un nocturne et un intermède étales. La référence au jazz tient notamment à une forte pulsation rythmique donnée par des instruments étrangers à l’orchestre traditionnel (batterie, guitare électrique, synthétiseur) ou employés de façon spécifique (pizzicati des contrebasses, jeu des cuivres). D’une belle verdeur et d’une séduction sonore immédiate, cette partition est défendue avec brio par le pianiste suisse Ueli Wiget, qui en restitue avec bonheur la virtuosité décorative, spectaculaire et ludique.


La Troisième symphonie de Frédérick Martin affiche un programme ambitieux, pour ainsi dire narratif. Chacun de ses deux mouvements dure environ treize minutes, pour constituer "une forme en apesanteur au-dessus d’un segment horizontal", qui dessine, selon le compositeur, le signe astrologique de la balance. Le premier mouvement, chargé de réminiscences diffuses, se veut un adieu à l’orchestre symphonique traditionnel et aux grands gestes (post)romantiques; il rappelle effectivement certaines des constructions expressionnistes, nostalgiques, épiques et richement contrapuntiques de Hartmann, avec lesquelles il partage d’ailleurs une structure en arche. Dans le second mouvement, une transition physique s’opère, avec le départ des deux percussionnistes, remplacés par deux batteurs, qui de façon presque ininterrompue, vont conditionner une mue de l’orchestre, jusqu’à l’acceptation "d’être traité comme échantillon de lui-même". De cette intensité motorique, lointainement apparentée à Milhaud ou au minimalisme américain, des duos (trompettes, hautbois et violon) finissent par émerger, préludant à une résolution des tensions qui voit les cordes prendre le dessus. Plus que par sa durée ou par son orchestration quelque peu touffue, l’œuvre pèche peut-être par un langage composite et incertain, sans doute inhérent au projet lui-même.


Fabien Téhéricsen nous convie enfin à une expérience qui fleure bon, en apparence, les années 1970, mais qui ouvre, en réalité, sur des horizons nouveaux. Eclairée par trois laconiques citations de Machiavel, Elizabeth Taylor (sic) et Hegel, Jaune est écrit pour trompette solo et quatorze cuivres et trahit l’expérience de la scène (opéras, théâtre, danse) acquise par ce compositeur. En effet, durant trente-sept minutes, c’est une histoire, notamment perceptible au travers de l’évolution du dispositif instrumental, qui captive peu à peu l’auditeur. Les musiciens, debout, sont d’abord répartis entre la scène, deux loges à mi-hauteur et la salle, entourant ainsi le compositeur (et chef) placé au centre, face au public; ils dialoguent avec le soliste, installé au premier plan, qui se tourne vers l’un puis vers l’autre pour de brefs échanges. A mi-chemin de la partition, le chef reprend sa place habituelle, dos au public, et, après un beau duo de trombones, le soliste entonne un appel plaintif qui semble inciter les musiciens à se regrouper derrière lui. Toujours debout face à leurs pupitres, ils effectueront ici ou là quelques pas en arrière puis en avant tout en continuant de jouer, tandis que le soliste se déplacera latéralement sur tout le devant de la scène.


Autant la première partie, d’allure modérée, accorde une importance primordiale au travail sur le son et à une sorte de surenchère entre le soliste et les instruments, non sans affinités avec le jazz, autant la seconde partie, plus rythmée, marque une accélération portée par de brèves cellules répétées puis par un ostinato des trombones et tubas. L’exploitation de toutes les ressources des cuivres, les marges réservées à l’improvisation et la virtuosité transcendante de Markus Stockhausen permettent de renouveler constamment l’intérêt et d’éviter l’écueil de la monotonie des timbres. La conclusion n’est pas moins originale: échangeant à voix haute des propos triviaux dont seules quelques bribes parviennent au public ou continuant à jouer tout en rejoignant progressivement les coulisses, les musiciens abandonnent le soliste et le chef. Comme dans un ultime effort, le soliste fait mine d’emboucher sa trompette, mais pour la laisser immédiatement retomber avant d’avoir émis le moindre son. Nous ne sommes pas chez Haydn, mais chez Hegel, mis en exergue par le compositeur: "Je suis forcé d’admettre que tout continue".




Simon Corley

 

 

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