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Un anniversaire peut en cacher un autre

Versailles
Opéra royal
11/04/2014 -  et 19 novembre 2014 (Lyon)
Jean-Marie Leclair : Scylla et Glaucus
Emöke Barath (Scylla), Anders J. Dahlin (Glaucus), Caroline Mutel (Circé), Virginie Pochon (Dorine, Vénus, Une bergère, Une Sicilienne), Marie Lenormand (L’Amour, Témire), Frédéric Caton (Chef des peuples, Licas, Hécate), Marie-Frédérique Girod (Une autre fille du chœur), Sarah Jouffroy (Une fille du chœur), Marina Venant (Une driade, Une autre fille du chœur), Pierre-Antoine Chaumien (Propétide 2, Un berger), Jean-Baptiste Dumora (Un sylvain), Vincent Laloy (Propétide 1)
Les Nouveaux Caractères, Sébastien d’Hérin (direction)


E. Barath (© D.R.)


2014 marque non seulement l’anniversaire de la disparition de Jean-Philippe Rameau mais également – pour être honnête, qui s’en souvenait? – celle de Jean-Marie Leclair. Compositeur connu pour avoir composé des œuvres destinées au violon (de très belles sonates en trio ou pour deux violons, des concertos...), Jean-Marie Leclair, né en 1697, a surtout marqué l’histoire pour avoir été assassiné, peut-être par un mari jaloux dont l’épouse aurait été sa maîtresse. Tiré des Métamorphoses d’Ovide, l’opéra Scylla et Glaucus est le seul ouvrage lyrique de Leclair qui nous soit parvenu; représenté pour la première fois le 4 octobre 1746, il suscita alors un véritable enthousiasme. A l’époque, on pouvait ainsi lire dans Le Mercure de France: «Le Mardi 4 octobre, on a donné la première représentation de Scylla et Glaucus, Tragédie. Les paroles sont de M. d’Albaret, et la musique de M. le Clair, célèbre dans l’Europe par ses sonates savantes et travaillées, et par l’élégance de son jeu sur le violon. Son génie se reconnaît dans la composition de son opéra» (page 152, année 1746). Pourtant l’ouvrage tomba rapidement dans l’oubli puisque, comme l’explique très justement John Eliot Gardiner dans la notice du programme distribué à l’Opéra royal, «Scylla est une tragédie lyrique tout à fait achevée, mais il apparaît alors [en 1746] que le genre, par rapport à l’opéra-ballet et à l’opéra-comique italien, perd déjà du terrain. […] En fait, ce qui est étonnant, c’est que Scylla ait eu quelque succès». Et le fait est qu’il a fallu attendre que Gardiner, en 1979 (à Londres) puis en février 1986 à Lyon, ressuscite l’opéra, qui a d’ailleurs déjà été donné à l’Opéra royal de Versailles sous la direction de Christophe Rousset en novembre 2005.


Dédié par Leclair à la comtesse de La Mark (la dédicace ne manquant d’ailleurs pas d’emphase), Scylla et Glaucus nous trame une histoire assez complexe tant les caractères des personnages varient au fil de l’intrigue. Après que le Prologue a permis de louer tout autant Vénus, déesse de l’amour, que le Roi de France, il nous est raconté l’histoire de Scylla, jeune femme extrêmement séduisante et courtisée mais qui dédaigne régulièrement ses prétendants, estimant à cette occasion être totalement libre puisque non soumise aux affres et aux tourments de l’amour. Glaucus, jeune homme séduit par la jeune femme, lui déclare son amour mais voit comme tant d’autres ses avances repoussées; il demande alors à la magicienne Circé de l’aider à se faire aimer de Scylla: bien mal lui en prend, puisque Circé va tomber amoureuse de Glaucus, jouant ainsi de ses attraits pour se faire aimer de lui. Pourtant, à la seule évocation de Scylla, Glaucus montre qu’il ne pense qu’à cette dernière, suscitant la colère de Circé, qui fait le serment de se venger de celui-ci. C’est alors que, contre toute attente, Scylla finit par tomber amoureuse de Glaucus. Menaçant de s’en prendre à Scylla, Circé obtient de Glaucus qu’il la suive mais, dans un de ces retournements dont seuls les écrivains ont le secret, Circé finit par laisser les deux amants ensemble jusqu’à ce que la magicienne soit de nouveau gagnée par un esprit vengeur. Alors que Scylla et Glaucus se retrouvent près de la source où ils se sont rencontrés pour la première fois, Circé arrive, provoquant la fuite de Scylla; ne parvenant pas à lu échapper, Circé transforme sa rivale en un rocher où, plongée au milieu du détroit de Messine, elle devient une source de terreur pour les marins, Circé concluant donc l’histoire sur son triomphe.


Dans une version malheureusement non scénique, le jeune chef Sébastien d’Hérin lance ses troupes avec une passion et une implication communicatives. Les Nouveaux Caractères, où l’on retrouve des musiciens hors pair comme Frédéric Baldassare au violoncelle, Jocelyn Daubigney à la flûte, Mélanie Flahaut au basson ou Marie-Ange Petit aux percussions, sont excellents de bout en bout. En dépit d’une gestique quelque peu déconcertante de prime abord, Sébastien d’Hérin parvient sans peine à obtenir de ses musiciens des moments de grande finesse autant que d’envolées enthousiasmantes. Ces possibilités sont d’ailleurs nombreuses en raison notamment de la profusion de passages dédiés à la danse (gigue, sarabande, air gracieux, menuet, gavotte, rondeau...) qui permettent à Leclair de multiplier les moments de musique strictement instrumentale. Ainsi l’Air gracieux du Prologue nous permet-il d’entendre les deux flûtes accompagnées par six violons en sourdine: l’effet est saisissant. Un peu plus tard, on vibre à la trompette et aux timbales annonçant la descente de Vénus (Prologue) en attendant la musette dans l’air d’une bergère et du chœur des bergers (acte I, scène 3). On soulignera également la superbe prestation des cordes qui, constamment sollicitées, distillent un accompagnement extrêmement varié: d’une vivacité à couper le souffle à la fin de l’acte II, elles deviennent totalement aériennes dans l’air de Glaucus «Que révèrent les Dieux» (acte III, scène 2), usant ensuite avec art du pizzicato pour accompagner le chœur «Viens Amour, quitte Cythère» (acte V, scène 2), avant de prendre des couleurs dignes de Vivaldi dans la scène conclusive, lorsque Scylla vient d’être métamorphosée en rocher. Mentionnons enfin Marie-Ange Petit aux percussions, dont a déjà eu l’occasion de souligner les mérites sous la direction de Philippe Herreweghe ou William Christie. Ce soir encore, elle fait montre d’une maîtrise absolue de ses différents instruments (timbales, tambour, castagnettes, tambourin, grelots...) et participe pleinement de la diversité des atmosphères souhaitées par la partition.


Scylla et Glaucus ne compte guère de «grand air» mais, à ce petit jeu, ce sont moins les héros éponymes que la terrifiante et ambiguë magicienne Circé qui gagne. Caroline Mutel tient son rôle vaillamment même si elle connaît quelques difficultés dans les aigus (dans l’air «Il me fuit, hélas, il me quitte» à la scène 5 de l’acte II ou dans son air conclusif, qui est également le dernier de tout l’opéra); pour autant, son jeu assez théâtral pallie ces faiblesses et le personnage en ressort assez crédible. Tenant plusieurs rôles, Virginie Pochon est excellente à chacune de ses interventions, tant par l’absence de problème technique que par la justesse de l’incarnation et la clarté de sa déclamation. Car c’est malheureusement le grand reproche que l’on peut adresser à la délicieuse Emöke Barath: bien qu’elle incarne une très belle et très juste Scylla, on éprouve de grandes difficultés à la comprendre dès son premier air, «Non, je ne cesserai jamais». Même si cela s’améliore au fil de l’opéra, il est quand même regrettable que l’on éprouve du mal à comprendre la langue de Molière sans surtitrage! Pour autant, ne passons pas non plus sous silence les très beaux airs d’une chanteuse dont on a pu apprécier les mérites, notamment chez Händel (voir ici). Ainsi, elle exprime de manière très juste, très sincère, la tristesse inhérente à l’air «Serments trompeurs, tendre langage» (acte III, scène 1) et le duo avec Glaucus («Que le tendre amour nous engage» à la scène 2 de l’acte III) est magnifique, l’accompagnement instrumental réduit à l’extrême (seulement un clavecin et une viole de gambe) donnant d’autant plus de poids aux mots prononcés par chacun des jeunes amants. Dans le rôle de Glaucus, Anders J. Dahlin est très bon même si la voix force parfois dans le registre aigu, son incarnation atteignant un sommet dans l’air «Chantez, chantez l’amour» à la scène 2 de l’acte V.


Si Marie Lenormand et Frédéric Caton ne suscitent guère de commentaires dans leurs incarnations respectives, c’est surtout le chœur des Nouveaux Caractères qui doit maintenant être salué. Ayant de nombreuses occasions d’intervenir (chœur de bergers, chœur des peuples d’Amathonte, chœur des divinités infernales, ministres de Circé où ne chantent d’ailleurs que les voix masculines...), les dix-huit chanteurs sont irréprochables de la première à la dernière note: ils ont sans nul doute contribué grandement à la réussite de cette soirée de redécouverte musicale qui va bientôt être à la portée de tous puisque le spectacle fut enregistré par les micros d’Alpha dans l’optique d’une prochaine parution discographique. A chacun, à ce moment-là, de comparer avec l’enregistrement jadis paru chez Erato sous la baguette de John Eliot Gardiner pour voir qui l’emporte.


En tout état de cause, on ne peut que féliciter tant les organisateurs que les interprètes de ce spectacle qui aura sans nul doute permis à beaucoup de mélomanes de se remémorer ou de découvrir l’existence de Jean-Marie Leclair qui, en dédiant Scylla et Glaucus à la comtesse de La Mark, écrivait: «J’entre aujourd’hui dans une nouvelle carrière; vous daignez, Madame, agréer l’hommage de mon premier essai en ce genre: pouvais-je commencer sous de plus heureux auspices?». Qui sait ce qu’il aurait pu faire s’il avait persisté dans cette voie...


Le site des Nouveaux Caractères



Sébastien Gauthier

 

 

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