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Villa-Lobos conquiert l’Amphi Paris Amphithéâtre Bastille 10/31/2014 - Heitor Villa-Lobos : Bachianas Brasileiras n° 1, n° 4 et n° 5 – Pequena Suite Carolina Ullrich (soprano), Varduhi Yeritsyan (piano), Marc Coppey (violoncelle solo), Aurélie Allexandre d’Albron, Pauline Bartissol, Alexandre Fougeroux, Antoine Gramont, Hermine Horiot, Clément Peigné, Ion Storojenco (violoncelles)
C. Ullrich
Heitor Villa-Lobos, malgré la notoriété que lui a assurée l’Aria de la Cinquième Bachianas Brasileiras pour soprano et huit violoncelles, n’encombre guère les programmes de concert. Le compositeur brésilien entretenait pourtant d’étroits liens avec la France et les discophiles gardent précieusement le coffret EMI « Villa-Lobos par lui-même », où il dirige l’Orchestre national. Autant dire que le programme proposé par les Convergences de l’Amphi Bastille, composé autour d’œuvres des années 1913-1945, méritait d’être entendu… il a d’ailleurs rempli la salle.
La Quatrième Bachianas Brasileiras (1930-1940), pour piano seul, illustre bien la synthèse entre l’hommage au Cantor de Leipzig et l’inspiration populaire – qui place Villa-Lobos aux côtés de tous les grands musiciens « nationaux » de l’époque. Varduhi Yeritsyan, qu’on avait entendue in loco en juin 2013 oser l’intégrale des Sonates de Scriabine en deux soirées, y déploie un jeu à la fois maîtrisé et coloré, adapté à la profondeur solennelle du « Coral » comme à l’énergie coruscante de la « Dança ». On est moins convaincu, ensuite, par la Pequena Suite pour violoncelle et piano (1913-1919), œuvre plus disparate, partagée entre le lyrisme romantique et la fascination pour les formes classiques, épicée d’une pointe d’exotisme : impeccable styliste, Marc Coppey s’y montre d’une élégance trop discrète là où il faudrait plus d’esprit et d’abandon.
On est loin du Rudepoêma pour piano (1921-1926), dédié et créé par Artur Rubinstein à Paris en 1927 : un redoutable morceau de presque vingt minutes, entre rêveries et séismes, sorte de Sacre du printemps pianistique aux couleurs du Brésil, d’une écriture très orchestrale, d’une modernité surprenante – il faut parfois jouer avec les poings. La pianiste arménienne y est éblouissante, exalte la puissance tellurique de la partition, en met les couleurs et les rythmes à vif, sans jamais se prendre au piège du primitivisme par un durcissement du jeu. Toujours fidèle à l’inspiration foisonnante et rhapsodique de l’œuvre, elle ne lâche pourtant pas la bride, sait où elle va, évite une approche séquentielle qui pourrait déstructurer l’ensemble.
Le violoncelliste, en compagnie, se libère davantage – Pauline Bartissol est d’ailleurs son assistante, presque tous les autres sont ou ont été ses élèves. La Première Bachianas Brasileiras, pour huit violoncelles, privilégie néanmoins, plutôt qu’une exubérance latine, la clarté des lignes et l’homogénéité du son, passant la musique de Villa-Lobos au filtre d’une certaine tradition française, exempte de raideur dans la Fugue finale, d’une émotion dépouillée dans le « Preludio » central. Les violoncellistes ne sont pas moins éloquents dans la Cinquième, avec une superbe Carolina Ullrich : le timbre est sensuel, la tessiture homogène, l’émission souple. Sans succomber à la tentation de l’opéra, s’appuyant sur une maîtrise infaillible du souffle, elle dégage une nostalgie langoureuse dans l’Aria, épouse la volubilité chaloupée de la « Dança ». On ne manquera pas d’aller l’entendre, jeudi prochain, dans le trop rare Lobgesang de Mendelssohn aux Champs-Elysées.
Didier van Moere
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