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04/10/2006 Kurt Masur
Johannes Forner
Traduit de l’allemand par Brigitte Hébert et Jean-Claude Colbus, préface de René Koering, postface de Christian Wasselin
Actes Sud/Radio France – 400 pages, 29,50 €
Avec un musicien et une personnalité tels que Kurt Masur, Johannes Forner, qui a été l’un des collaborateurs du maestro allemand à Leipzig, tenait un sujet en or. C’est pourtant une relative déception qui s’impose à la lecture de cet ouvrage.
Non pas que le rappel des principales étapes biographiques de la «tête de mule silésienne» soit incomplet ou superflu, la première partie de sa carrière, exclusivement en République démocratique allemande, débutant par une formation traditionnelle de répétiteur puis de chef d’opéra aguerri à toutes les contraintes des théâtres de province – Halle (1948-1951), Erfurt (1951-1953), Leipzig (1953-1955), Dresde (1955-1958), Schwerin (1958-1960), Berlin (1960-1964), Dresde (1967-1972) – étant demeurée quelque peu dans l’ombre avant qu’il ne s’impose comme le Kapellmeister du Gewandhaus (1970-1996) et n’occupe des fonctions à New York (1991-2002), Londres (depuis 2000) et Paris (depuis 2002).
Non pas que l’auteur élude les questions difficiles ou les conflits: vie privée, relations orageuses avec Walter Felsenstein à la Komische Oper de Berlin et avec l’administration de la Philharmonie de New York, quasi-impossibilité de diriger entre 1964 et 1967, amertume au départ de Leipzig, rôle ambigu de l’artiste promu comme vitrine d’un régime qui misait beaucoup sur la culture, étrange lettre de remerciement adressée à Honecker douze jours après sa démission en novembre 1989. Tout cela est, bien au contraire, abordé avec une franchise presque brutale.
Non pas que l’émotion ne soit pas bien évidemment au rendez-vous lorsqu’est évoqué le rôle tenu par Masur lors des manifestations de 1989 à Leipzig, ni que le témoignage de sa rencontre avec François Mitterrand, à la fin de cette même année, ne manque d’intérêt, confirmant les réticences du président français face aux perspectives d’unification rapide des deux Etats allemands.
Mais l’ensemble pèche par sa maladresse (Beethoven qualifié à plusieurs reprises de «compositeur viennois»), son manque de rigueur, ses développements hors sujet, ses sauts dans le temps, son style filandreux, sa naïveté («Sa parfaite assurance en public était à elle seule un gage de réussite lors de ces tournées internationales»), sa technique (le délayage d’entretiens avec Masur et ses proches) et – malgré un index des noms, un encart photographique et une discographie exhaustive – un travail éditorial particulièrement relâché, que l’on n’attendait pas d’une maison comme Actes Sud, tant les scories abondent: «Rudolfinium», «Julliard School», «timbaliste» (pour «timbalier»), «States» (pour «Etats-Unis»), «prélude pour chœur» (pour «prélude de choral»), «politicien» (pour «homme politique»), «commémoration» (pour «célébration») et, pour couronner le tout, «Last night at the Proms» [sic] au cours de laquelle on chante chaque année... L’Hymne à la Joie!
Les aspects politiques et esthétiques laissent en outre le lecteur sur sa faim. Ne pouvait-on pas creuser davantage l’épineuse question des compromis et de la résistance face au régime est-allemand? Et devait-on se contenter d’enfoncer les portes ouvertes quant aux préférences de Masur? Car apprendre qu’il se sent plus d’affinités avec l’approche de Furtwängler qu’avec celle de Toscanini et que ses compositeurs de prédilection, au sein d’un répertoire devenu il est vrai assez restreint, sont Beethoven, Mendelssohn, Bruckner et Chostakovitch, ne constitue pas une véritable révélation.
Non, décidément, la meilleure façon de rendre justice à ce bâtisseur d’orchestre qu’est Kurt Masur est donc d’aller l’entendre avec un Orchestre national qu’il a si rapidement su redynamiser.
Simon Corley
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