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11/01/2023 Eric-Emmanuel Schmitt : La Rivale Editions Albin Michel – 144 pages – 16,90 euros
Sophia Cecelia Anna Maria Kalogeropoulos, plus connue sous le nom de Maria Callas, fait l’objet d’un véritable culte depuis longtemps, faisant parfois penser au culte des reliques voire au pur fétichisme lorsqu’on voit le succès qu’ont eu les ventes aux enchères de certains des effets de la diva (Drouot en 2000 notamment). Le phénomène vient même de se traduire par l’ouverture d’un musée à Athènes entièrement consacré à la cantatrice, présentant par exemple une de ses paires de lunettes qu’elle n’a quasiment jamais portée, et, après le film Callas Forever réalisé par Franco Zeffirelli en 2001 et le documentaire Maria by Callas de Tom Volf, sorti en 2017, le personnage devrait faire l’objet d’un biopic avec Angelina Jolie l’an prochain. Les ouvrages consacrés à Maria Callas ne manquent évidemment pas. Sans se lancer dans un comptage qui risque d’être inexact, on peut affirmer sans se tromper qu’il en existe plusieurs centaines, en plusieurs langues. Que peut‑on dès lors faire pour écrire sur la diva sans redite quand on est fasciné, comme d’autres, par cette voix unique ? Eric-Emmanuel Schmitt, normalien, agrégé de philosophie, ancien élève au Conservatoire de Lyon, auteur prolifique et membre de l’Académie Goncourt, prend le sujet à rebrousse-poil d’une certaine manière et répond par La Rivale.
Ce n’est ni un récit ni une énième biographie et encore moins un essai. L’auteur a déjà écrit des essais sur Mozart (Ma vie avec Mozart, 2005) et Beethoven (Quand je pense que Beethoven est mort alors que tant de crétins vivent, 2010). Ici, il s’agit d’un roman, la voie la plus difficile, la plus originale, pour parler de musique. La voie aussi sans doute la plus vraie pour parler avec son cœur du cœur de la musique et du mystère de la voix.
Mais en fait, La Rivale, court roman à la langue fluide, non dénué d’humour et qui se lit d’une traite, évoque moins la Callas qu’il ne narre l’histoire d’une concurrence inventée entre une cantatrice aigrie et oubliée, devenue franchement acariâtre avec l’âge, et la célèbre diva grecque. Ce n’est même pas un portrait en creux de la diva. Aux dires de Carlotta Berlumi, la jalouse, Maria Callas, « boulotte bigleuse » avant de suivre des régimes ravageurs, en faisait des tonnes, chantait mal, avait vécu mal mais était morte « à la perfection ». Ses exigences auprès des directeurs d’opéra ou de la presse étaient extravagantes et son vibrato excessif ne méritait que des huées. Le public a fini par s’en rendre compte. Habituée aux dithyrambes, elle finit d’ailleurs par craquer aux premières critiques lors de la célèbre Norma, interrompue à la Scala, le 2 janvier 1958, en présence du Président de la République italienne et par fuir Milan et l’Italie. Bien fait. Carlotta Berlumi se félicite ainsi de son déclin à partir de 35 ans, de son retrait de la scène à 42 et, quasiment, de son décès à 53, en 1977 à Paris.
Mais la parole n’est donnée qu’à Carlotta Berlumi. La Berlumi déblatère et la Callas se tait ; un comble. La charge systématique de ce personnage fictif, qui ne représente rien ni personne et qui est si peu sympathique, est telle que la vraie Callas disparaît au profit d’une histoire dont on ne perçoit guère le sens, voire l’intérêt en dehors, à la rigueur, d’une description des haines recuites qui traversent le microcosme opératique, comme d’autres sans doute. Le fait que le roman nous indique que la Berlumi a été oubliée et que seule la Callas fait l’objet d’une véritable dévotion ne rassérène guère car la première occupe quand même toutes les pages. On n’a ainsi qu’une vague idée du chant de Callas et même de sa légende. L’auteur ne parle positivement de son chant qu’à la page 101 et on ne comprend donc pas du tout à la lecture du roman en quoi la Callas fascinait et fascine encore. Pourquoi, lorsque sa voie déraille, par exemple dans la Carmen dirigée par Georges Prêtre (1964), continue‑t‑elle d’avoir une présence extraordinaire ? On n’en sait rien. Pourquoi parle‑t‑on encore, près de cinquante ans après la mort de la cantatrice, de ce chant ? On l’ignore.
S’il n’évoque pas les mises en scène de Luchino Visconti – aussi ringardes et empesées que ses films ? –, le roman ne dit pas grand‑chose non plus des talents d’actrice de la Callas. On en sauvera néanmoins quelques figures savoureuses, à défaut de vrais portraits : du critique musical écrivant n’importe quoi pour qu’on parle de lui, de la Tebaldi feignant d’aller jusqu’au contre‑ut « en passant la chiffonnette » et finissant par s’exiler aux Etats‑Unis ou encore du garagiste sud‑américain se tapant Carlotta Berlumi. C’est trop peu pour mériter le détour et marquer d’une pierre blanche l’impressionnante liste des ouvrages d’Eric-Emmanuel Schmitt, fin connaisseur de la musique assurément mais qui s’est sans doute trop précipité dans cette histoire. Retournons plutôt aux enregistrements de la Callas.
Stéphane Guy
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