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04/17/2023
Alain Poirier : Luciano Berio / Coro
Contrechamps poche – 238 pages – 15 euros


Must de ConcertoNet





Luciano Berio (1925‑2003) est au nombre des compositeurs dont l’hétérogénéité des sources musicales et textuelles forme le cœur de la poétique. Celle‑ci, présente en filigrane derrière l’armature sérielle des premiers opus gravitant autour de la nébuleuse Darmstadt, se montrera de plus en plus hospitalière à d’autres matériaux, issus notamment du folklore. A mi‑chemin (le terme désigne chez Berio une manière d’agrandissement pour orchestre de certaines de ses Sequenze) entre Sinfonia (1968) et Voici (1984), Coro (1974‑1976) compte parmi les œuvres qui résument le mieux les préoccupations de la décennie 1970‑1980. Les textes brassés (centrés sur la liberté, l’amour, le travail et la violence), quant à eux, jettent un beau pinceau de lumière sur la facette humaniste du compositeur, dont Luca Francesconi a pu dire que travailler à ses côtés était comme intégrer l’atelier d’un grand maître de la Renaissance.


L’étude des Gruppen de Stockhausen par Pascal Decroupet, objet du précédent volume de la collection Contrechamps Poche, relevait presqu’autant de l’analyse que de l’élucidation, avec indices et documents à profusion – l’œuvre s’y prêtait. S’il n’est pas avare d’exemples musicaux et de tableaux (en conformité avec l’esprit de la collection), le travail d’Alain Poirier se veut plus synthétique et, partant, d’un accès plus facile. Le musicologue, fin connaisseur de la musique du XXe siècle et ancien directeur du CNSM de Paris, assume en outre une approche non linéaire qui lui permet d’entrer dans la partition par le truchement de plusieurs « problématiques ». Il appartiendra au guide d’écoute, objet de la troisième et dernière partie, d’offrir un déroulé dans la continuité.


Il faut insister sur la densité d’informations contenues dans ces 238 pages. Alain Poirier va à l’essentiel, et nombreuses sont les phrases mémorables qui cristallisent l’enjeu de la partition tout en la replaçant dans « le projet esthétique de Berio ». Loin des sommes musicologiques et leur cortège de détails que le lecteur admet comme indispensables mais qui se révèlent vite décourageants, ce volume s’impose autant au féru de Coro qu’à l’amateur de « musique contemporaine ».


Alain Poirier commence par retracer la « Situation de Berio » : le refus de la table rase, l’ouverture d’esprit qui fait son miel de Schoenberg, Stravinsky, Webern, Mahler, Milhaud ou Dallapiccola. Autant de dieux ennemis qu’il concilie dans le Panthéon de son admiration, à l’instar du complice et mentor Bruno Maderna. Du sérialisme sur lequel il émettra de sévères réserves, Berio retient « sa capacité structurante sans en adopter la rigueur conduisant au sérialisme généralisé ».


« L’inventaire personnalisé » auquel Berio s’attelle pour chaque œuvre relève d’une attitude qui s’apparente à celle de l’ami Umberto Eco (Vertige de la liste, 2009), voire à celle de certains confrères (citons le cycle de Sylvano Bussotti Il catalogo è questo, 1976‑1981) ; tout l’enjeu consiste à lui donner de la cohérence. C’est l’objet de la deuxième partie, où Alain Poirier passe en revue :
l’effectif : quarante chanteurs et quarante instrumentistes, disposés en duo voix et instrument ;
les textes : textes populaires (majoritairement anonymes) et la poésie de Pablo Neruda auxquels s’ajoutent des extraits du Cantique des cantiques, point culminant du thème de l’amour « alors que Berio épousait Talia Becker à qui Coro est dédié à cette occasion ». Question : quitte à rester en compagnie de Neruda, un extrait du recueil Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée ne s’imposait‑il pas ?
la forme : trente-et-une sections ventilées en quatre parties, que Poirier met en relation avec « le concept joycien d’“épiphanie” » ;
l’inclusion du hoquet des Banda Linda : l’occasion de rappeler le rôle séminal joué par une conférence de l’ethnomusicologue Simha Arom, dont un Ligeti saura également se souvenir ;
l’unité harmonique : présence de polarités, enrichissement notable du vocabulaire harmonique d’intervalles (tierce) jugés tabous par la doxa sérielle ;
le rapport diagonal entre textes et musiques : effet « mosaïque » découlant d’une « forme tressée ».


Le « Parcours » proprement dit se focalise davantage sur la perception en réinvestissant la notion de forme (mise à jour du « principe de forme différée ») sous un angle dramaturgique. Intitulée « Une œuvre politique et humaniste », la conclusion éclaire le rapport de Berio à l’histoire. S’il ne milita jamais au sein d’un parti politique, à la différence de Nono, Berio n’a pas manqué de dénoncer la barbarie aveugle, quelles qu’en soient les manifestations. Là n’est pas le moindre mérite de Coro, indépendamment de l’accomplissement artistique et expressif qu’il représente, que de contribuer à souligner la grandeur et l’intégrité de l’homme qui lui a donné naissance.


Jérémie Bigorie

 

 

 

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