Back
11/09/2022 Aribert Reimann : Conversations avec Julian Lembke et Cyril Duret. Sous l’emprise de l’opéra Editions MF – 153 pages – 13 euros
Sélectionné par la rédaction
Depuis la mort de son collègue et ami Hans Werner Henze (1926‑2012), Aribert Reimann (né en 1936) compte, aux côtés de Detlev Glanert (né en 1960), parmi les compositeurs allemands les plus joués sur les scènes lyriques internationales. Reimann est foncièrement un littéraire : lecteur compulsif, arpenteur inlassable de la poésie allemande en qualité d’accompagnateur de lieder, il puise son inspiration dans les grands textes de la culture européenne, d’Euripide à García Lorca en passant par Shakespeare, Kafka, Goll, Strindberg ou Maeterlinck. Ce sont ses neuf opéras que le compositeur Julian Lembke (né en 1985) et le peintre Cyril Duret (né en 1993) ont choisi de sonder à travers une série d’entretiens menés au domicile berlinois du maître, âgé aujourd’hui de 86 ans. Discographie, bibliographie et chronologie complètent les six chapitres qui cadencent cet échange autour d’un créateur pudique (« Je n’ai jamais cherché à mêler ma vie privée à mes opéras ») dont le langage, né sur les résidus de l’avant‑garde post-webernienne, a suivi son propre chemin, à l’écart des courants émergents.
Son premier contact avec la musique du XXe siècle, le jeune Aribert, formé au chant dans les églises (« J’ai été élevé de façon très protestante »), le doit aux Préludes de Debussy, que son père lui offre pour Noël en 1948. Déjà brillant pianiste, il suit des cours de composition auprès de Boris Blacher tout en découvrant les œuvres de Stockhausen, Nono et Boulez. Pour autant, il n’entend pas inscrire sa trajectoire dans leur sillage et ne se rendra qu’une seule fois à Darmstadt, en 1956. « Le son comme une fin en soi ne m’intéresse pas, pas plus que le matériau dès lors qu’il est pensé comme autonome », confie celui pour qui « le son est la somme de tout ce qui précède ». Selon lui, cette volonté de table rase s’accompagne d’une absence de pratique instrumentale : « Les compositeurs en question sont très souvent ceux qui n’ont pas un métier d’interprète, comme moi, qui n’ai jamais abandonné la tradition ». S’il utilise la micro-tonalité, c’est toujours « en raison d’un motif scénique ».
Parmi les rencontres essentielles qui jalonnent son parcours, citons Ernst Krenek (« J’étais fasciné par le personnage de Krenek »), Henze (« C’était une amitié pleine de hauts et de bas »), l’Orphée de Jean Cocteau (« A 15 ans, je découvre son Orphée, qui me bouleverse encore »), Krzysztof Penderecki (« Sa pâte sonore très solide me séduisait ») et surtout Dietrich Fischer‑Dieskau (« Il était une sorte de Dieu pour nous »), créateur de maintes partitions de Reimann, à commencer par le rôle écrasant de Lear.
Le compositeur apporte des précisions sur son usage personnel des clusters et des séries (lesquelles n’ont rien de dodécaphonique), revient sur la genèse de ses opéras (« Troades est l’opéra qui compte le plus pour moi, bien plus que Lear ») émaillée de petits rituels (chaque partition est conçue dans une pièce particulière de son appartement) et de grandes turpitudes : ainsi de la crise – consignée dans son journal – qui accompagna l’écriture de Lear.
Si le catalogue de Reimann ne saurait se réduire à ses opéras (qu’attend Warner pour rééditer son bouleversant Requiem ?), la place incontournable occupée par ceux‑ci dans le répertoire contemporain suffirait à justifier la lecture de cet ouvrage pédagogique et instructif. Mieux : Julian Lembke et Cyril Duret comblent ici un angle mort de la musicologie française.
Jérémie Bigorie
|