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03/21/2022
Pascal Dusapin : Tenir l’accord. Entretiens sous la direction de Valentine Dechambre
Editions MF – 157 pages – 13 euros




Dans l’exposition « Révolutions Xenakis » qui se tient à la Philharmonie de Paris jusqu’au 26 juin, figure une photographie touchante du jeune Pascal Dusapin extraite de la collection personnelle de Mâkhi Xenakis, la fille de Françoise et de Iannis Xenakis (dont il sera souvent question dans ce livre) : on y voit le jeune compositeur participer à l’installation du Diatope de Beaubourg, en 1978. Agé aujourd’hui de 66 ans, il est devenu entre‑temps, comme nous le rappelle la quatrième de couverture, une personnalité « emblématique de la création musicale européenne de ce premier quart du XXIe siècle »  – In Nomine Lucis pour chœur a cappella (2020), proposé dans sa version longue lors de trois soirées exceptionnelles au Panthéon (les 30 mars, 6 et 13 avril), suffirait à l’attester.


Au cours de six entretiens sous‑titrés « Flux », « Temps », « Traces », « Inconscient », « Inquiétude » et « Dérèglement », Pascal Dusapin s’allonge sur le divan et se prête au jeu du dialogue avec des psychanalystes. Si ces 157 pages ne nous livreront pas tous les secrets de son art, elles lui permettent de verbaliser certains ressentis, d’affiner certaines réflexions. De cette plongée dans les affres de la création, le lecteur tirera quelques coquillages, ceux‑là même qu’on se colle à l’oreille pour y entendre les grouillantes faune et flore marines en miniature.


Il y a les rencontres : séminale avec Edgar Varèse, stérile avec Olivier Messiaen, fascinée avec Gilles Deleuze et décisive avec Iannis Xenakis. Dusapin récuse le terme d’« autodidacte » qui lui est souvent accolé, sans pour autant passer l’estompe sur la fringale de savoirs un peu désordonnée qui fut la sienne à l’époque. L’époque, c’est celle de l’université buissonnière du Centre de Paris VIII Vincennes où, en auditeur libre, il suit les cours de Xenakis (deux heures tous les mercredis, de 1974 à 1978) et de Gilles Deleuze, bien que trop jeune et trop novice pour en tirer profit dans l’instant. En parallèle, il se rend aux concerts d’orgue gratuits de Notre‑Dame de Paris, se passionne pour le jazz (John Coltrane) et pour Bach.


Parmi les indices qu’il sème pour nous aider à tracer notre chemin dans la forêt de sa psyché, on glanera ceux‑ci : « il a toujours fait passer la question de la création avant l’idée de la musique » (sur Xenakis) ; « tout est construit pour que ça ait l’air d’être inventé sur le moment »(au sujet des Sept études pour piano) ; « je ne veux pas devenir un vieil artiste confit dans sa propre sauce » (sur la nécessité de « se déplacer ») ; « j’écris à la main, à l’encre, je ne reviens jamais en arrière »(sur son rapport à la partition) ; enfin « c’est dans la maladie qu’a pris naissance ma musique, c’est évident », confie cet épileptique à qui tout semble avoir réussi, mais dont la consécration fut loin d’être toute tracée ; c’est l’une des vertus de ce livre que de le rappeler.


En miroir aux propos de Pascal Dusapin sur la notion d’arbitraire (« Toutes ces décisions, aussi inconscientes soient-elles, produisent une forme ne devant rien au hasard. Il y a une volonté sous‑jacente »), nous avons souhaité citer in extenso ce propos lumineux de Roger Caillois touchant à l’inspiration, extrait de La Poésie : Approches et impostures (Roger Caillois : Œuvres, Quarto Gallimard, 2008, p. 356) :


« ... à quoi prétend l’inspiration ? D’où vient‑elle ? Comment s’assurer que cet élan mystérieux n’égare pas l’imprudent qui s’y abandonne ? On s’accorde à dénoncer trop de crédulité dans la foi des Anciens qu’un dieu suscitait l’enthousiasme des poètes, mais y en a‑t‑il moins à concevoir qu’une puissance aveugle, ensevelie au fond de l’homme dans un enfer de ténèbres, y compose des oracles qui dévoilent à l’intelligence stupéfaite les secrets de l’univers et de la destinée ? Il n’est pas de plus vain espoir. Certes, dans les abîmes des mers, sous une rude écaille, une chaire hideuse et tremblante forme parfois une perle. De même dans les profondeurs de l’oubli, là où la conscience parvient à peine et où fermentent toutes sortes d’appétits honteux, de pensées indécises, il arrive que le hasard ou une heureuse rencontre semble engendrer une merveille. En réalité, chacun reçoit de l’inspiration le fruit de ses inquiétudes. C’est à ses veilles qu’il doit une facilité soudaine. Un musicien compose en rêve une sonate. Un poète demande ses vers aux tables tournantes. Un savant prend son bain, un autre voit tomber une pomme : voici découvertes deux lois fondamentales de l’économie du monde. Mais ces dons sont les plus personnels qui soient : ils se trompent rarement de destinataire. Les caprices du sort ne favorisent pas une folle tête et jamais inventeur ou artiste ne bénéficia d’un bien subit qu’il n’avait pas depuis longtemps conçu, convoité et essayé d’atteindre. Partout le ciel n’aide que celui qui s’est beaucoup aidé et qui, comptant seulement sur ses propres forces, n’attendait rien d’un secours divin. »


Jérémie Bigorie

 

 

 

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