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04/30/2001 Henri Sauguet un Académicien autodidacte
Hélène Rochefort-Parisy, collection Carrés Musique, Séguier. 2000, 200 p. 85 F.
Trop peu joué, trop confiné dans des images stéréotypées, Henri Sauguet figure pourtant parmi les musiciens français les plus attachants du XXème siècle, même si de toute évidence, il n'a rien de révolutionnaire. Il est l'auteur d'une œuvre d'une étonnante diversité qui couvre un large spectre de genres, de la mélodie à la symphonie, de la musique de chambre à la musique pour la radio, alors qu'on tend trop souvent à le réduire à ses ballets et à ses musiques de scène.
La facture de l'ouvrage est on ne peut plus classique. Un déroulé biographique qui permet d'évoquer en chemin comme autant de repères les œuvres majeures du compositeur. L'ouvrage commence allegro avec une évocation très vivante des premières années de Sauguet : le milieu familial provincial et modeste mais épris de musique dans lequel le petit Henri, qui s'appelle encore Poupard (le nom de son père), voit le jour en 1901, le goût très précoce de l'enfant pour la musique, son peu d'attrait pour les études, son expérience de petit chanteur dans la maîtrise de sa paroisse bordelaise, l'initiation à l'orgue enfin qui lui permet, au travers de son don d'improvisateur, de découvrir sa vocation de compositeur. Mais l'arrivée de la guerre empêche son entrée au Conservatoire et détermine son futur parcours qui sera celui d'un autodidacte même s'il a pu bénéficier de l'enseignement de grands maîtres comme Joseph Canteloube ou plus tard Charles Kœchlin. C'est que précocement il se lie avec Darius Milhaud qui sans relâche, l'épaulera, le guidera, l'encouragera.
A Paris, où il arrive en 1922, après avoir adopté le nom de sa mère, Henri Sauguet va acquérir sa vraie formation musicale et intellectuelle. La vie artistique et culturelle de la capitale à cette époque est éblouissante et Sauguet, réputé pour sa gentillesse et sa facilité de contact, pour son humour, va très vite s'y trouver intimement mêlé. C'est au demeurant un des intérêts du livre de faire défiler toutes ces grandes figures de la musique, de la peinture, de la littérature : Milhaud, Auric, Radiguet, Paul Morand, Picasso, Derain qu'il rencontre dans ces institutions capitales de l'entre deux-guerres que sont les grands salons, ceux des Polignac ou des Noailles notamment.
Les premiers succès arrivent bientôt, avec l'opéra-bouffe le Plumet du Colonel et surtout la Chatte (argument de Boris Kochno, chorégraphie de Balanchine) qui inaugure une longue série de plus de vingt-cinq ballets qui ponctueront toute l'œuvre de Sauguet et le verront collaborer avec les plus grands noms de la chorégraphie et du décor théâtral, Diaghilev, Lifar, Roland Petit, Christian Bérard, etc. Avec surtout les Forains qui ont tant fait pour sa renommée mais qui sont aussi l'arbre qui cache la forêt. Car parallèlement aux innombrables œuvres qu'il écrit pour la scène, pour le cinéma (plus de trente musiques de film dont l'Epervier, Premier de Cordée ou Farrebique), pour la radio et même pour la télévision, Henri Sauguet compose de la musique pour piano, des mélodies, des concertos et pas moins de quatre symphonies.
C'est sans doute Milhaud qui sut le mieux caractériser sa musique : "Chez Sauguet, la musique est un sixième sens. Une facilité mélodique d'un intarissable écoulement remplace, pour notre joie, les combinaisons les plus savantes des contrapuntistes les plus célèbres. C'est un intuitif dont l'intuition est guidée par son instinct, par l'acuité de son intelligence et la sûreté de son goût", propos que l'on peut rapprocher de ceux tenus par Sauguet lui-même s'expliquant sur sa faculté d'écrire simultanément en 1945 les Forains et sa Symphonie expiatoire, à la mémoire des victimes de la guerre : "quel que soit l'ordre de la musique que je compose, aussi profonde, aussi frivole, je ne cherche qu'à mobiliser tout ce que je sens". Après avoir été élu en 1975 à l'Académie des Beaux-Arts, au siège de Darius Milhaud, l'ami de toute une vie, il écrira encore à quatre-vingts ans une comédie musicale Boule de Suif d'après Maupassant et un opéra pour enfants Tistou-les-pouces-verts ! Il meurt en 1989, le jour de la fête de la musique. On reprochera malheureusement à l'ouvrage de s'enliser dans une certaine monotonie ; en effet après un début prometteur, empreint de charme et de vie, ponctué de nombreuses anecdotes qui rendent la figure de Sauguet très proche, il en vient progressivement à une longue énumération des oeuvres, dans un défilé rébarbatif de faits et de noms. On appréciera en revanche l'excellent catalogue des œuvres en exprimant le souhait que cette impressionnante liste donne envie à tout un chacun d'écouter ou de ré-écouter Sauguet et qui sait, aux institutions musicales, de le programmer un peu plus souvent.
Florence Trocmé
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