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01/17/2020 Alain Damiens : Lire, entendre, transmettre – Dialogue avec Anne Roubet Les Editions du Conservatoire – 179 pages – 19 euros
Sélectionné par la rédaction
«Son lien avec le Conservatoire de Paris, où il a enseigné à la fois la clarinette et la pédagogie, et son parcours d’interprète, qui fait de lui un témoin de premier plan de l’histoire de la création musicale des XXe et XXIe siècles, le désignaient tout naturellement pour être le premier invité de celle collection "Dialogues"», précise Anne Roubet en introduction.
Le clarinettiste Alain Damiens commence par évoquer ses années d’apprentissage, finalement assez courtes: «J’ai eu la chance de rentrer très tôt en classe de clarinette au Conservatoire de Paris, et d’en sortir très vite»; cette phrase pourrait être signée mutatis mutandis de Pierre Boulez! A croire que l’académisme de cette auguste institution était, toutes disciplines confondues, aussi tenace dans les années 60 que dans les années 40. Esprit vif et curieux, le jeune Calaisien fait deux rencontres essentielles en les personnes de Gérard Grisey en 1969 («C’est lui qui, le premier, m’a parlé de mon instrument et de son fonctionnement») et Michel Portal en 1972, ce dernier à la faveur d’un concert d’improvisation. Il a beau décrocher le poste convoité de clarinettiste à l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, son horreur de la routine et son goût pour l’aventure en décideront autrement: l’aventure, c’est aux côtés de Pierre Boulez et au sein de l’Ensemble intercontemporain (EIC) que ce prodigieux musicien choisit de la mener à partir de 1976.
Alain Damiens revient sur les artistes hors normes qu’il a pu côtoyer: Pierre Boulez bien sûr, dont il crée Dialogue de l’ombre double («Pour moi, la musique de Pierre Boulez, d’une manière générale, est une musique de félin: c’est à la fois un chat, un lion, une panthère, un tigre...»), Elliott Carter, dont il crée le Concerto pour clarinette, Karlheinz Stockhausen (d’une exigence inouïe avec les interprètes), Maurizio Pollini, Maurice Béjart ou Bartabas. Edison Denisov, Franco Donatoni, Luciano Berio, Vinko Globokar, Helmut Lachenmann (au sujet de ses partitions: «On ne peut pas les mémoriser, il faut reprendre le travail depuis le début, chaque fois que l’on joue une pièce»), Allain Gaussin et le camarade (violoncelliste de l’EIC mais aussi compositeur) Pierre Strauch ont chacun droit à un chapitre.
Au détour de ses souvenirs truffés d’anecdotes et d’une extrême bienveillance à l’égard des compositeurs, Alain Damiens reconnaît que les musiciens de l’EIC n’ont pas été suffisamment formés pour aborder le répertoire de la musique répétitive quand David Robertson – le premier – leur fit jouer Steve Reich: «La formation des musiciens de l’EIC ne les prépare pas à ce type de concentration et de gestion du temps très contrainte».
Dans les dernières pages de ce livre émaillé de photos en noir et blanc, Alain Damiens parle, avec l’humilité désarmante qui le caractérise, de son rapport à l’instrument, ses méthodes de travail lorsqu’il aborde une nouvelle partition et son attachement à la transmission – il enseigne aujourd’hui... à la Schola Cantorum («Je suis un boulézien chez Vincent d’Indy!», constate-t-il amusé): «Le plus important, me semble-t-il, c’est de leur montrer que l’instrument n’est pas le seul moyen d’être heureux avec la musique et d’en vivre. [...] La musique comporte aussi ses dangers: le professeur ouvre des portes, certes, mais il doit donner aux élèves les moyens d’affronter le monde, de surmonter les déceptions, [...] ne pas les laisser seuls».
Mieux qu’une leçon de musique: une leçon de vie.
Jérémie Bigorie
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