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12/26/2019
Seule compte la musique
Philippe Jaroussky (conversations avec Vincent Agrech)
Papiers Musique, collection «Via Appia» – 171 pages – 18 euros





On pouvait avoir quelque appréhension en ouvrant ce livre dont les bonnes pages ont, pour certaines, déjà été publiées dans un récent numéro de la revue Diapason. Et le fait est que l’introduction ne nous rassure guère avec ses poncifs habituels qui évoquent «les fantasmes sexuels associés à ces voix qui paraissent défier les lois du genre» ou, à travers le personnage central du livre, la «voix des anges, voix de l’innocence, voix de l’éternelle enfance», avant qu’un parallèle ne soit effectué entre la voix et le «frisson érotique» qu’elle peut procurer.


Heureusement, la suite est beaucoup plus intéressante, à partir du moment, en vérité, où la parole est donnée à Philippe Jaroussky lui-même. Au travers de huit chapitres ordonnés de façon chronologique et complétés tant par une discographie que par une vidéographie exhaustives, une des stars du monde des contre-ténors d’aujourd’hui se livre avec une sincérité que l’on pourra parfois trouver un peu trop lisse mais qui n’en brosse pas moins un portrait des plus attachants. Né le 13 février 1978 à Maisons-Laffitte mais ayant vécu jusqu’à l’âge de 24 ans à Sartrouville, Jaroussky nous décrit tout d’abord ses premiers contacts avec la musique, de la rencontre avec ce professeur de sixième (Gérard Bertram) qui lui a écrit la chanson Le Petit Prince pour un spectacle d’école à ses essais plutôt moyens en classe de violon. Il nous fait ensuite partager ses rencontres aussi bien virtuelles (le choc de l’air «Scherza infida» tiré d’Ariodante vu à la télévision et alors chanté par Ann Murray ou l’acquisition des Vingt-quatre Caprices de Paganini par Itzhak Perlman, son premier disque acheté) que réelles, qu’il s’agisse du sopraniste Fabrice di Falco ou de Nicole Fallien, qui est restée à ce jour la professeur de chant de notre héros, et qui l’ont aidé à trouver sa voie et à construire sa personnalité artistique. Découvrant le répertoire qui s’offre à lui en étudiant au département de musique ancienne du Conservatoire régional de Paris (où il rédige un mémoire consacré à Carestini), Philippe Jaroussky se fait remarquer et reçoit ses premiers engagements avec Gérard Lesne (dans Sedecia, roi de Jérusalem d’Alessandro Scarlatti, enregistré à l’Abbaye de Royaumont), avec lequel l’aventure fut brève (idem avec René Jacobs, le courant n’étant visiblement pas du tout passé entre les deux hommes), et Jean-Claude Malgoire qui fut, au contraire, un des mentors de Jaroussky jusqu’à sa disparition en avril 2018, et avec lequel il chanta aussi bien la trilogie de Monteverdi que ses premiers Vivaldi, Händel et même la Passion selon Saint Matthieu ou la Messe en si de Bach.


Le troisième chapitre («Contre-ténor, qui es-tu?») est sans doute l’un des plus intéressants du livre puisque Philippe Jaroussky évoque aussi bien les anciennes figures d’Alfred Deller et du trop méconnu Russel Oberlin que ses amis, à commencer par Max Emanuel Cencic avec qui il triompha dans le désormais célébrissime Artaserse de Leonardo Vinci, incroyable spectacle heureusement préservé par les caméras. Fort instructif également est le chapitre suivant, très justement intitulé «La folie Vivaldi», qui permit au disque «Heroes» de consacrer Philippe Jaroussky chez ce compositeur, qu’il aborda à de très nombreuses occasions notamment sous la direction de son véritable frère jumeau, le bouillonnant Jean-Christophe Spinosi. Habile transition pour le chapitre suivant qui évoque assez longuement la rencontre et la collaboration avec Cecilia Bartoli, les figures de Nathalie Stutzmann, Emmanuelle Haïm et Marie-Nicole Lemieux étant également croisées au détour des pages et des projets musicaux qui permettent à Philippe Jaroussky d’étendre au fil du temps répertoire et notoriété. Tout en expliquant, parfois assez savamment, les raisons pour lesquelles il s’attache à tel ou tel projet musical, le jeune chanteur nous fait également partager avec beaucoup de justesse son expérience du studio, fort différente du concert, lui-même admettant qu’avec la création de son ensemble Artaserse, il a gagné une maîtrise du temps qui, jusque-là, lui échappait trop souvent. Les deux derniers chapitres sont également très instructifs, notamment le septième qui décrit avec force détails la manière dont les compositeurs contemporains se sont accaparés la voix de contre-ténor, Philippe Jaroussky ayant ainsi participé à la création de l’opéra Only the Sound Remains de la Finlandaise Kaija Saariaho (voir ici, ici et ici), les dernières pages étant consacrées au souci de transmission de Jaroussky et à la création de son Académie, basée à la Seine musicale, sur l’île Seguin à Boulogne-Billancourt.


Le livre se lit bien et fourmille d’informations sur le monde des contre-ténors, les répertoires abordés, certaines anecdotes ne manquant pas de sel (la rencontre de Philippe Jaroussky et Cecilia Bartoli avec un fan à Salzbourg par exemple, à la descente d’un train). Si Vincent Agrech ne se montre pas toujours de la première subtilité (on a déjà parlé de l’évocation de la dimension sexuelle des contre-ténors mais ajoutons aussi cette obsession du nombre de visionnages de telle ou telle vidéo sur YouTube, sorte d’étalon à l’aune duquel tout semble se mesurer, qui devient vite lassant), reconnaissons au journaliste qu’il maîtrise son sujet. Si la vie privée et l’homosexualité de Jaroussky sont également abordées, c’est fait de façon plutôt sobre, ce qu’il convient de saluer car d’autres auraient pu en faire des tonnes avec beaucoup moins de finesse. Mais tout cela tient finalement avant tout, et c’est ce que l’on ressent en refermant ce livre d’entretiens, à la très grande pudeur de Philippe Jaroussky dont le caractère encore une fois attachant s’impose avec évidence au lecteur.


Sébastien Gauthier

 

 

 

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