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12/19/2019
Paul Dukas : Ecrits sur la musique (volume 1: le théâtre lyrique)
Edité par Pauline Ritaine
Aedam Musicae – 344 pages – 30 euros


Sélectionné par la rédaction





Demandez à un mélomane de citer quelques compositeurs qui ont également exercé le métier de critique musical, et il citera probablement Berlioz, Debussy et, à la rigueur, Schumann. Il ne faut toutefois pas oublier Paul Dukas (1865-1935): il débute cette activité en 1891, l’interrompt en 1905 et la reprend en 1919. Sa contribution se révèle plutôt importante, si bien que le musicien se plaint du temps que cet exercice lui prend, comme le précise Pauline Ritaine dans son excellente introduction. La musicologue édite une large sélection de chroniques et de critiques sur le théâtre lyrique parues dans divers périodiques entre 1892 et 1932. La première partie regroupe des chroniques assez longues semblables aux éditoriaux actuels dans les revues musicales. Dukas disserte sur la place de l’opéra dans la société, ainsi que sur le rôle des institutions, observe avec acuité les travers de la vie musicale de son temps, pas si différents de ceux d’aujourd’hui, regrette le choix peu audacieux des répertoires joués, de même que le manque de salles convenables à Paris.


Par sa teneur trop abstraite, la première partie de cet ouvrage captive un peu moins que les critiques qui en constituent l’essentiel. Pauline Ritaine les répartit thématiquement et chronologiquement: les opéras antérieurs à Wagner, les opéras de ce dernier, les opéras français, dont Les Troyens, critiqués longuement et avec enthousiasme, enfin les ouvrages contemporains, dont quelques œuvres qui ne relèvent pas du genre de l’opéra, comme Noces de Stravinski et Le Petit Elfe Ferme-l’œil de Schmitt. Ces pages comportent largement de quoi satisfaire le passionné. La critique clairvoyante et étayée de Pelléas et Mélisande, par exemple, mérite vraiment d’être lue. S’il ne faut en connaître qu’une de Dukas, ce pourrait bien être celle-ci, tout à fait représentative de l’intelligence de son auteur.


La longueur, la structure et le contenu de ces critiques ne manquent pas d’étonner au regard de ce qui se pratique aujourd’hui. Dukas évoque à peine les décors et la mise en scène, et brocarde volontiers, mais brièvement, la direction d’acteur, quand il y pense – mais ce temps n’était pas encore celui de Castellucci, Warlikowski et Tcherniakov. Les prestations des chanteurs, qu’il nomme « monsieur untel » ou « madame unetelle », se limitent à quelques phrases succinctes, voire laconiques. Aussi, il passe souvent sous silence le nom du chef d’orchestre, et suscite même quelques frustrations quand il ne formule même pas un commentaire sur la direction, par exemple, d’un Mahler – une autre époque, véritablement.


En revanche, Dukas s’attarde sur l’œuvre, en mettant l’accent sur son langage et ses innovations, et sur son compositeur. Il relate souvent le synopsis dans les détails, comme celui de L’Or du Rhin qui semble le ravir. Quoi qu’il en soit, ces opinions demeurent profondément réfléchies et rigoureusement argumentées, même lorsqu’il s’agit des opéras de Massenet, pour lesquels il éprouve des sentiments partagés. Cet homme érudit et ouvert manifeste toutefois bien peu d’estime pour le courant vériste, sans tenir pour autant des propos trop à l’emporte-pièce. Il clame par contre haut et fort son admiration pour les grands classiques, comme Gluck, mais aussi Rameau, et manifeste une réelle passion pour Wagner, sans tomber dans les excès de l’éloge panégyrique; le courant symboliste l’intéresse également. Ses critiques de compositeurs, tels que Méhul et Monsigny, et d’œuvres comme Les Barbares de Saint-Saëns, Fervaal de d’Indy et L’Attaque au moulin de Bruneau, tous sortis depuis peu de l’oubli, présentent, avec le recul, évidement un grand intérêt.


Tous ces écrits témoignent d’une immense culture et d’une maîtrise admirable de la langue. Au style, impeccable et élégant, s’ajoute un vocabulaire riche et employé à bon escient, et si le ton demeure le plus souvent sérieux, le propos se fait parfois plus acerbe, ironique et sarcastique. Le perfectionnisme de ce compositeur à la plume exquise et virtuose se retrouve donc aussi, sans surprise, dans ses critiques. Dukas ne prend pas cette activité comme prétexte pour exposer et défendre son propre langage, du moins pas ouvertement, à la première personne du singulier, mais ses idées et son esthétique transparaissent entre les lignes. Nous attendons avec enthousiasme le second volume, consacré aux critiques de concerts.


Sébastien Foucart

 

 

 

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