Back
07/05/2017 Jean-Noël von der Weid : Papiers sonores Editions Aedam Musicae AEM-166 – 174 pages – 25 euros
Jean-Noël von der Weid est surtout connu pour être l’auteur de La Musique du XXe siècle (Pluriel, 2010 pour la cinquième édition), une somme indispensable dont les partis pris esthétiques, du reste pleinement assumés, lui ont sûrement valu quelques inimités: «Passons prestement sur un courant qui exciterait à l’écriture de paroles agacées: celui, conservateur, parfois réactionnaire, qui veut assourdir et mater la modernité, issu de Marcel Landowski, comprenant des compositeurs comme Jean-François Zygel, Thierry Escaich, Guillaume Connesson»; voilà qui annonce la couleur... La couleur, Jean-Noël von der Weid la connaît aussi, pour avoir publié plusieurs essais sur la peinture dont Le Nu dans l’art. L’Apothéose des corps (Solar, 2007) ou L’Art allemand depuis 1945 (Médiathèque de la Cité de la Musique, 2003).
Le présent ouvrage ne manque pas d’ambition, laquelle ne se mesure pas au nombre de pages ni à la documentation compulsée, mais bien au but qu’il s’est assigné: offrir un prolongement et textuel et sonore – le lecteur est invité à lire à voix haute – à une sélection de cinquante pièces de musique; soit, comme le précise l’avant-propos, «exprimer l’inexprimable». Ce linguiste de formation, gourmet des notes et des mots, fait en réalité œuvre de poète, soustrayant ainsi son travail aux outils du «critique musical». On se trouve démuni face à un artisanat unique en son genre, bien que l’on puisse dresser çà et là quelques parallèles: c’est une improvisation libre, tantôt à la manière de Michel Butor (L’Offrande musicale de Bach), tantôt à la manière de l’écriture automatique chère à André Breton (Arcana de Varèse). Lorsqu’il coule son commentaire dans une forme précise (les six pièces de Children’s Corner de Debussy), Jean-Noël von der Weid prend son lecteur par la main quand il ne l’abandonne pas ailleurs au cœur du labyrinthe: pour le meilleur (le contrepoint à l’improvisation de Joëlle Léandre) comme pour le pire (les délires psychédéliques consacrés à Charles Mingus et Scriabine nous ont laissés sur le bord du chemin). Une longue phrase fait écho à la mélodie infinie de Wagner («Marche funèbre» du Crépuscule des dieux) tandis que les mânes d’Henri Michaux habitent le poème incantatoire associé au Tutuguri de Wolfgang Rihm. Certains textes s’enrichissent au contact de la musique; d’autres, au contraire, souffrent de sa promiscuité et gagneraient à s’en affranchir.
On ne monnayera pas notre enthousiasme pour l’éclectisme de l’auteur, qui érige des parcelles entre les répertoires, mêle les effectifs, bouscule les genres et la chronologie: Pérotin tend la main à Thelonious Monk, Ligeti passe le flambeau à Gesualdo. Au reste, toute anthologie n’a-t-elle pas de raison d’être que si le caprice y préside? Von der Weid séduit, surprend, édifie, comme il agace et exaspère. Un livre dont la lecture exigeante est à proportion de l’originalité et, pour cette raison même, réservé aux happy few.
Jérémie Bigorie
|