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11/29/2000 Martin Kaltenecker : La rumeur des batailles, la musique au tournant des XVIIIe et XIXe siècles Fayard, collection les Chemins de la Musique, , 240 p.
Le projet de Martin Kaltenecker dans cet essai brillant paraît à première vue simple, même si le titre en est un peu énigmatique : en quoi la musique a-t-elle pu être influencée ou simplement marquée par les bouleversements politiques, sociaux et philosophiques de la Révolution française et de l'épopée napoléonienne ?
L'auteur part en quête de ces éventuelles traces des évènements extérieurs violents de cette charnière des XVIIIe et XIXe siècle, délaissant rapidement les plus apparentes et les moins intéressantes -à savoir les musiques militaires et leur écho dans les œuvres de ce temps- pour se focaliser sur un grand thème, surprenant au premier abord, la quantité. Analysant les différents paramètres de la musique, il met en évidence cette notion de quantité dans le domaine de la durée des œuvres, de l'utilisation des dynamiques et de l'instrumentation, la résumant pour plus de clarté et d'efficacité en une question de plus ou de moins. Et il est vrai que ce critère paraît pertinent pour l'étude de cette époque où se font jour pour la première fois des phénomènes tels que l'allongement des proportions des œuvres instrumentales, une amplification des dynamiques, un peu plus tard la recherche consciente de certains effets, l'accroissement général des tempi, l'augmentation des masses orchestrales et à l'inverse, une volonté de simplification du langage musical. Simplification dont il remarque avec pertinence qu'elle a affecté, en tant que recherche, d'autres époques cruciales comme la fin du XVe siècle ou les lendemains de la 1ère guerre mondiale.
Analysant l'œuvre de plusieurs musiciens, Martin Kaltenecker compose par touches une sorte de tableau de quelques-unes des tendances de l'époque : un certain hiératisme et l'idée du sublime chez Gluck, l'apparition d'une "lenteur réfléchie" chez Beethoven à qui il consacre trois chapitres éblouissants, la fascination pour la vitesse chez Weber ou bien encore l'ivresse rythmique de Rossini.
Cet essai fascine par sa complexité, son foisonnement, sa richesse. Il oscille parfois entre deux excès, tendance à la formule un peu simplificatrice et hâtive et à l'opposé foisonnement d'informations, de sources. Car la littérature, la philosophie, l'histoire sont convoquées à chaque instant, ce qui est, bien entendu, pleinement justifié par le sujet qui est autant d'histoire des idées que d'histoire de la musique. Les citations (souvent splendides et toujours pertinentes) et les références abondent, comme en témoigne l'index où l'on retrouve aussi bien le Minnesänger Frauenlob que Giancinto Scelsi ou Tristan Murail ! L'auteur fait preuve d'une immense culture, se promène très librement dans le temps et produit environ une idée par page.
S'il s'en tient donc à une lecture trop rationnelle, le lecteur risque de se décourager. En revanche, s'il consent à se laisser entraîner par le bouillonnement digressif de la pensée de l'auteur, il s'enrichira de nombreuses connaissances, s'émerveillera du jeu des correspondances entre toutes les disciplines et trouvera mille pistes de réflexion sur la musique, sur l'art et sur l'air du temps.
Florence Trocmé
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